En matière de polar, Cosby connaît la musique. Mais il fait bien davantage que de réciter ses gammes.
le sang des innocents joue une mélodie du malheur dans laquelle le traitement de la population noire actuelle aux États-Unis en est le refrain lancinant.
Son précédent roman,
La colère, avait déjà mis en avant cette Amérique des contraires, à travers un sujet qui sortait vraiment du lot. Cette fois-ci, la thématique et l'ambiance générale sont plus classiques, mais le roman n'en est pas moins épatant.
C'est l'histoire de Charon, petite bourgade typique du Sud, qui va payer au prix fort son passage vers les enfers. Ou plutôt le récit de ses habitants à travers le drame, et la manière dont ils vont se déchirer.
« Oui, les petites villes sont à l'image des gens qui les peuplent. Tôt ou tard, elles finissent par livrer leurs secrets, mais pour cela, il faut d'abord payer le prix du sang ».
C'est aussi le récit de ce qu'est être un shérif noir dans cette partie du pays où les traditions ont la dent dure. Où les tensions raciales sont toujours bien présentes, à fleur de peau, une partie de la population regrettant les temps anciens et vénérant encore les « illustres » personnages du passé qui étaient de vrais négriers.
Cette Amérique-là est encore et toujours au bord de la rupture, et il ne faut pas grand-chose pour allumer la mèche qui embrase les oppositions raciales.
Le roman raconte ces dissensions en toile de fond, à travers une enquête policière racée, qui flirte parfois avec le thriller.
Tout commence par une tuerie dans un lycée, un classique outre-Atlantique. Sauf que ce qui va être découvert sur le tueur et sa victime, le gentil professeur que tout le monde semble apprécier, va bousculer l'ensemble de la population de Charon. D'autant plus que ce que révèle l'enquête ne fera que déclencher d'autres horreurs.
Un shérif noir dans le Sud, il fallait un concours de circonstances pour qu'il puisse être élu. Titus est un ancien du FBI, une tête, qui a décidé de revenir aux sources, dans sa ville d'origine.
L'ambiance, les événements vont avoir comme point d'appui cet homme-là. Un homme de raison, mais qui sait laisser parler ses émotions. Qui a accepté ce poste en espérant naïvement pouvoir changer le système de l'intérieur.
J'ai follement aimé ce personnage, sa droiture comme ses démons intérieurs, ses valeurs et son abnégation. Formidable !
L'écrivain nous rappelle combien chaque individu comporte plusieurs facettes. Que, sans mauvais jeu de mots, aucun n'est tout blanc ou tout noir.
Son récit en creux, autant que son intrigue policière, lui permettent de décortiquer les relations entre les personnes et entre les communautés. Parce que les Hommes ont toujours tendance à compliquer les choses.
A l'image de ce représentant de la loi, vu par la communauté noire qui l'a pourtant élu, non plus comme un des leurs, mais avant tout comme un shérif. Les prismes changent.
A l'opposé, les réactions ataviques doivent être contenues sans provocation par Titus, dans un état où la terreur du grand remplacement est omniprésente (l'auteur utilise l'expression). Pour les blancs, tous ces vieux réflexes ne cachent souvent qu'appât du gain et peur de perdre ses avantages.
L'auteur sait jouer la corde sensible, et faire avec subtilité. Mais il sait également tirer à boulets rouges sur les comportements et l'égoïsme ambiant. Avec de nombreuses diatribes bien senties, à travers les propos de ses personnages, comme contre la religion.
Mais le roman n'est pas un pamphlet, c'est un sacrément bon polar ! Avec de la tension, des surprises, un final dantesque. Un auteur qui maîtrise les codes pour mieux raconter une vraie histoire, et surtout dessiner de bons personnages à travers cette petite ville. Avec un talent d'immersion digne d'un
Stephen King, dans un autre style.
Le genre de roman qu'on n'a pas envie de mettre de côté, pris dans l'atmosphère autant que touché par les sujets traités. Un texte régulièrement ponctué d'échanges verbaux juteux.
Le sang des innocents coule encore et encore, à travers la relation des noirs et du Sud. S.A. Cosby s'en sert comme terreau pour un excellent polar, entre violences et émotions, et démontre une fois de plus qu'il est un auteur à suivre de très près.
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