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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il est rare de faire la connaissance d'un personnage aussi fort, beau et complexe, que celui de Titus, ex-agent du FBI devenu presque par accident shérif d'un comté rural de Virginie, élu sur un programme progressiste. Premier shérif noir du comté, il évolue dans un no man's land de gris entre des gens qui croient en lui, d'autres qui le considèrent comme un traître à sa communauté et d'autres encore qui le haïssent pour sa couleur de peau.

Lorsque le fils d'enfant est abattu par la police après avoir assassiné un professeur adulé de tous, la suite des événements font cruellement voler en éclat le précaire équilibre qu'il s'était créé pour parvenir à naviguer dans la fange sans y sombrer.

Le point de départ est assez classique, et pourtant, S.A.Cosby est parvenu à construire avec brio une intrigue totalement maîtrisée qui envoie du très lourd avec ses multiples ramifications parfaitement imbriquées qui bouillonnent sous beaucoup de peur, de tension et de sang en fusion : la traque d'un mémorable tueur en série, une histoire sur la persistance du racisme sudiste, une dénonciation sans concession d'un fanatisme religieux favorisant le statu quo, et enfin l'exploration d'un traumatisme intime. le récit crépite à chaque nouvel indice, à chaque nouvel obstacle, à chaque irruption de nouveaux personnages, à chaque nouvelle scène décisive.

Dans ce polar sombre et profond, tout le monde porte un masque. La petite ville semble calme en surface, mais en dessous, il y beaucoup de haine, à commencer par celle des suprémacistes blancs célébrant l'histoire confédérée de la ville avec nostalgie et rage. Comme chez Dennis Lehane ou R.J.Ellory, la réalité des lieux explose de vérité tant ils sont décrits avec beaucoup de grain et de texture.

Ici, dans un comté dont le sol est imbibé du sang et des larmes des crimes racistes du passé, de l'esclavage, de la guerre de Sécession, de la ségrégation, « seuls les noms, les dates et les visages changent – et encore pas nécessairement. Parfois, quand on ferme les yeux, ce sont les mêmes visages qui apparaissent. Les mêmes visages qui vous attendent dans l'obscurité. » le passé ne passe pas et finit toujours par se rappeler de la pire des manières, comme si le racisme était une maladie qui contaminerait jusque dans les tréfonds ce Sud américain. Sur fond de dangereuse religiosité sudiste, les péchés du passé pèsent sur le présent comme un funeste présage.

Si le nombre de morts est élevé et l'action quasi ininterrompue avec ses tournures inattendues, comme dans un thriller, S.A.Cosby laisse exister ses personnages. On est au plus près de leur ressenti et de leurs émotions. Par touches, l'auteur distille les informations importantes qui révèlent leur parcours et leur personnalité, ceux du jeune abattu au début du roman, ceux de ses parents, du père ou du frère de Titus, du tueur, des pasteurs locaux, et bien évidemment ceux de Titus lui-même dont on découvre les secrets qui le tourmentent et le font porter une longue pénitence durant quasiment tout le récit. Jusqu'à la libération apportée par un superbe épilogue qui résonne fort avec tout ce qui a conduit jusqu'à lui.

Ce roman a l'évidence d'un futur classique, à la fois très actuel par ses thèmes et intemporels par ce qu'il dit de la condition humaine, et par la maitrise des codes du polar rural noir que l'auteur se réapproprie brillamment.

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Ayant adoré le précédent roman (« La Colère ») de cet auteur qui a le mérite de figurer sur la « Summer reading list » de Barack Obama depuis deux étés consécutifs, je n'ai pas hésité un seul instant à me jeter sur cette nouvelle petite perle éditée par Sonatine !

« le sang des innocents » invite à suivre le quotidien tout sauf paisible de Titus Crown, ex-agent du FBI devenu le premier shérif noir de Charon County. Dans ce comté rural de Virginie où le racisme est quasiment héréditaire, la couleur de peau de ce représentant de la loi ne fait pas vraiment l'unanimité, ni chez les blancs, forcément, mais pas non plus au sein de sa propre communauté, où beaucoup le considèrent comme un traître. du coup, le jour où un professeur de géographie adulé de tous se fait abattre par un élève noir au lycée Jefferson Davis et que le meurtrier est ensuite descendu par les collègues blancs de Titus, il se retrouve subitement avec les deux communautés sur le dos et à la tête d'une enquête particulièrement explosive…

Mais quel talent, ce S.A Cosby ! Sa manière de planter une ambiance sombre et pesante en seulement quelques pages me fait penser à du R.J. Ellory, mais saupoudré d'une bonne petite sauce de « Black Lives Matter ». En situant son polar dans le Sud des États-Unis, l'auteur nous plonge immédiatement dans un endroit où les tensions raciales sont palpables… une partie des États-Unis où le sol est encore imbibé du sang et des larmes des générations précédentes et où l'équilibre entre les différentes communautés s'avère très précaire. de suprémacistes blancs arborant le drapeau confédéré avec nostalgie à l'élection d'un shérif noir, en passant par l'ombre d'un passé mêlant esclavagisme, ségrégation et guerre de Sécession, tous les ingrédients sont présents pour faire exploser cette cocotte-minute dont la pression monte à la moindre altercation.

C'est au coeur de cette atmosphère oppressante que l'auteur dépeint une région gangrenée par le racisme, la violence institutionnelle, le fanatisme religieux et la corruption… et il le fait souvent très habilement, juste une petite phrase teintée de racisme latent ici et là, un sourire en coin qui en dit souvent très long ou un regard de travers un peu trop appuyé… Eh oui, le racisme est quelque chose qui s'entretient malheureusement très facilement…

Et au milieu de cette fange nauséabonde, véritable terreau de haine ancestrale, S.A Cosby dresse le portrait d'un homme charismatique, d'une droiture à toute épreuve, qui tente de redorer le blason d'une police corrompue jusqu'à la moelle, habituée à caresser les blancs dans le sens du poil et à violenter préventivement les autres. Un personnage central foncièrement attachant, dont on découvre les démons intérieurs au fil des pages. Un homme certes tourmenté, mais entier, que l'on quitte avec grand regret une fois l'ouvrage refermé…

Immense coup de coeur !
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Les racines de Titus.
Difficile de s'amouracher d'un bonhomme blazé comme un empereur romain (ou un doberman), sauf si on s'appelle Bérénice. Ce n'est pas du tout le sujet du roman de S.A Cosby chaud devant, puisque Titus est le premier sheriff noir élu du comté de Charon en Virginie.
Pour un ancien agent du FBaïe ! natif du coin, le job pourrait ressembler à un placard doré de préretraité mais le patelin est gangréné par des suprémacistes qui n'ont jamais fait le deuil des Consfédérés et du Général Lee (pas la voiture de Sheriff, fais-moi peur hélas !) qui s'opposent à la population noire à l'origine de l'élection du Sheriff.
La situation dégénère quand un professeur blanc et populaire du lycée est tué par un ancien étudiant, noir, abattu lui-même par les adjoints de Titus. Charon est stone (il fallait que je la fasse). N'ayant que son intégrité à opposer aux deux camps qui lui reprochent soit de couvrir une bavure, soit de protéger sa communauté, Titus va fouiner dans le passé pas joli joli du prof assassiné et il va se mettre en chasse d'un tueur en série local avec une population portée à ébullition. La ville est aussi infestée d'églises et de congrégations, mais compte très peu de saints. Comme le thon rouge, surpéchés et surprêche ont fragilisé l'espèce.
J'ai lu ce roman parce qu'il est à l'origine d'une pandémie de critiques sur Babelio et que je suis un garçon finalement très influençable. Dès que je vois une nuée d'étoiles, je suis tenté par une nuit blanche. J'avoue aussi que j'avais aussi vraiment envie de découvrir qui était le gars qui jouait à cache-cache sur la couverture très réussie du roman.
J'ai adoré ce « Country noir », ou polar rural mais je ne veux pas faire l'amalgame avec la série des meurtres à Pétaouchnok, mon Lexomil du Samedi soir. S.A Cosby ne fait ni dans le polar gratuit qui ne vaut que pour son intrigue, ni dans le polar camouflage au service d'une cause identitaire.
Le personnage tourmenté du shériff est attachant, le biotope de ces villes du Sud avec une bible dans une main, un flingue dans l'autre et des opioïdes dans la musette, est décrit de façon magistrale et l'intrigue policière reste captivante.
Chapeau (de cow-boy) aussi à Pierre Szczeciner pour la traduction qui révèle bien la patte de cet auteur américain dont je vais m'empresser de lire les deux premiers romans.
Je termine ce billet en étalant ma culture Wikipediesque. L'Etat de Virginie s'appelle ainsi et non pas Bégonia ou Domitille car il vient de la reine Elisabeth the first d'Angleterre, dite la « reine vierge » (Virgin Queen). Pas étonnant d'y retrouver une telle proportion de culs bénis.
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Le chaos confédéré

Le saule pleureur a vu couler les larmes de sang des innocents enterrés à l'ombre de ses branches ruisselantes.
Titus Crown, ancien agent du FBI et premier shérif noir élu à Charon, un comté rural de la Virginie, contaste avec amertume que la liste des tragédies qui se déroulent sur les terres de son enfance ne fait que s'allonger.
Quelques jours plus tôt, M. Spearman, un professeur très apprécié du lycée, s'est fait tirer dessus par Latrell, un jeune Noir, avant se faire abattre lui-même par la police.
Titus Crown, sous le feu des critiques, se retrouve confronté au chaos. Acte terroriste pour les uns, bavure policière pour les autres. Cette funeste fusillade a mis en lumière une sordide affaire en lien avec la macabre découverte "du saule pleureur". M. Spearman ne serait pas vraiment celui que tout le monde pense être...

S.A Cosby avec ce nouveau thriller confirme tout son talent et s'installe confortablement aux côtés des meilleurs auteurs américains.
Ce roman musclé et d'une densité incroyable nous montre la réalité d'une Amérique chahutée par les fantômes du passé. le Sud, ses suprémacistes, son racisme et ses prêcheurs pas toujours en odeur de sainteté.
Un thriller gros calibre, percutant et qui coche toutes les cases d'un grand roman noir.


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Charon , c'est une ville qui répond à la fameuse règle des trois B :" la baston , la boisson et ..la baise ! " Et , oui , c'est écrit dans le livre alors moi , je ne fais que transcrire ce que j'ai lu , ne m'agressez pas .Bon , la baston , on la voit apparaître dés les premières pages et , croyez - moi , c'est terrible : fusillade dans un lycée , le prof le plus apprécié de l'établissement abattu par le jeune Larell , lui -même " neutralisé " par les hommes du shériff Titus Crown ...
Début de l'enquête , suspension de deux policiers , information des familles , début d'une vraie course à la vérité dans cette ville du Sud " hantée par le Christ ".
Titus Crown , ex agent du FBI , noir , èlu au grand mécontentement de toute la population blanche locale et considéré comme un traitre pour bien d'autre veut découvrir ce qui se cache sous ce drame .Le racisme est , hélas , encore bien présent malgré l'éloignement de la terrible guerre de Sessession .
Voilà pour le contexte général , le reste vous appartient et la qualité du récit qui vous attend n'a pas besoin d'être plus détaillée .Pas ou trés peu de temps morts , un portrait d'un homme complexe de premier ordre , des personnages secondaires bien campés dans leurs rôles , une écriture fluide et des dialogues enrichissants portent ce roman noir qui met en exergue tous les maux d'une société impitoyable , la violence , le racisme , la religion et ses interprétations rigoureuses ou déviantes .Bref , on ne perd pas son temps dans ce roman dont on tourne les pages avec avidité et gourmandise .
C'est le second livre de cet auteur que je découvre cette année , le premier étant " la colère " et même si j'ai préféré celui -ci , j'ai vraiment apprécié cet auteur que je ne connaissais pas . "Les routes oubliées " ne devraient pas tarder à suivre !
Les lecteurs et amateurs de roman noir ne s'y sont pas trompés si j'en crois la note globale sur Babelio ( Je n'ai pas encore lu les critiques ) et je ne puis que m'associer à ce brillant résultat .
Allez , à bientôt les amis et amies .Le week-end s'annonçant morose ...Pourquoi pas ? C'est bien vous qui voyez ...
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Bonjour,
Aujourd'hui je vous propose : « Le sang des innocents » de S. A. Cosby. J'ai adoré ce roman magistral qui a pour décor le Sud des États-Unis. Nous suivons Titus Crown premier shérif noir à Charon County en Virginie, chargé d'une enquête complexe et bouleversante suite à l'assassinat d'un professeur de lycée par un jeune noir. le personnage principal, charismatique, attachant, tourmenté et prisonnier d'un passé douloureux est dépeint avec justesse et précision. Sa psychologie est finement analysée. L'atmosphère sombre et oppressante nous happe au fil des pages. Les émotions des personnages, leurs troubles, leurs angoisses donnent le tempo du récit qui décrit avec réalisme l'horreur et les abominations ainsi que la haine profonde véhiculée par le racisme. L'auteur dénonce habilement ce sentiment profond et viscéral, la tension entre communautés, les violences et assassinats dans les écoles et le poids de la religion et ses dérives fanatiques. Voici un troisième roman extrêmement dur, impressionnant de réalisme, à l'intrigue brillante, au rythme intense et à l'écriture superbe. Un gros coup de coeur !
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Quand le polar devient la quintessence du roman social (dixit Megan Abbott)

Voilà un auteur qui, faute d'être né dans une famille aisée, s'est tracé son propre chemin et s'est auto-cultivé, auto-formé, auto-instruit. Elevé dans une caravane dans une famille très pauvre, S.A. Cosby, né Shawn A. Cosby, a vécu dans l'ancienne capitale de la Confédération sudiste en Virginie et nous livre ici le fruit d'un parcours méritant. A 50 ans, il sait de quoi il parle, il y a été plongé jusqu'au coup depuis sa naissance. Et ça se sent pour chacun des thèmes qu'il aborde.
Pour l'instant je n'ai lu que ce polar, ce ne serait que le troisième traduit en français ; les deux autres ont atterri directos dans ma PAL. Pourquoi ? Parce qu'il a su attirer mon attention sur cette vieille épine dans le pied des « blancs » : le racisme noir. Ces dernières années, l'islamisme et le djihadisme ont pollué d'autres injustices dont celle du « blanc » ennemi du « noir » ou du « noir" contre le « blanc ». Je me permets de le formuler ainsi puisque Cosby le présente ainsi…pourvu qu'il ne lui arrive pas ce qui est arrivé aux « Dix petits nègres » d'Agatha Christie. Je ne l'espère pas et me dis, qu'au fond, l'auteur a judicieusement résumé l'ambiance de la région en écrivant qu'ils sont « tous soit descendants d'esclaves, soit descendants d'esclavagistes ».

Autant qu'un thriller, ‘'Le Sang des Innocents'' est aussi une étude sociologique, celle du Sud des Etats-Unis. Au travers de la double attaque que subi le personnage principal Titus Crown, à savoir celle d'une grand partie de la population blanche mais aussi celle des noirs qui le considèrent comme un traite, l'auteur rapporte l'atmosphère pesante et persistante aux States. 1 siècle 1/2 après les quatre années de la guerre de Sécession, rien n'aurait donc changé ? A croire que non.

Une fusillade perpétrée devant un lycée par Latrell, un jeune noir immédiatement abattu par la police, va mettre le shérif Crown, ancien agent du FBI, dans une très mauvaise posture. S'agit-il d'un acte de fanatisme terroriste ? D'une nouvelle bavure policière ? Il faudra qu'il dénoue rapidement le vrai du faux.

Le lieu : Charon, petite ville de Virginie qui a pour signification ‘' fondé dans le sang et l'obscurité ‘'. Elle va soudainement devenir un authentique nid de guêpes. On y côtoiera des suprémacistes blancs, des nationalistes chrétiens, des milicien patriotes qui, sans scrupules, vont démonter cette affaire à tel point que Titus Crown va devoir boucler au plus vite son enquête. Ce personnage est une lumière à lui tout seul ; il est beau, complexe, ce qui en fait une personnage rare et intemporel.
S'en suit un polar, dont David Joy dit dans la préface, que dans ce « roman de poids » on ne trouve « pas de sentimentalisme ni de lyrisme malvenu ».

La traduction par Pierre Szczeciner est à signaler comme participant à la réussite de ce polar, tant le texte est fluide et ferait presque penser que Cosby l'a rédigé en français. Il faudra que je pense à lire le ‘' Dictionnaire amoureux de la traduction ''.

La perfection faite du thriller américain ou un futur classique qu'on étudiera un jour en classe en raison de l'excellence du sujet traité à savoir celle de la condition humaine ? Va savoir. Pourquoi pas les deux.
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Prenez une petite ville du fond du Sud américain, appelez-la Charon. Lovée dans la baie de Chesapeake, elle aura été fondée « dans le sang et l'obscurité » et quoi que ses habitants vous disent aujourd'hui, elle n'a jamais rien eu de tranquille. Incendies tuant les derniers indigènes, cannibalisme, malaria, tueries familiales, noyades, « son sol était imbibé de plusieurs générations de larmes et, ici comme ailleurs, violence et chaos étaient érigés en symboles d'un passé idéalisé qu'on célébrait tous les ans à l'occasion de la fête des Pères fondateurs » comme nous le rappelle le texte en italique en amont du premier chapitre.

Lorsque le roman commence, Charon se débrouille aussi tranquillement que possible avec sa communauté noire, majoritaire et pauvre, ses suprémacistes blancs racistes et agressifs, ses jeunes bagarreurs et ses trafics illégaux de médicaments et de drogues. Une ville sans histoire, quoi.

Pour protéger ses citoyens, c'est Titus qui a été élu shérif. Ce qui constitue une anomalie puisqu'il est noir et que tous ses prédécesseurs étaient naturellement des Blancs capables de maintenir le système officieux de brimades et de pots de vin nécessaire au cours inéluctable des choses.

Ancien du FBI mais natif de Charon, Titus est revenu accompagner les vieux jours de son père veuf. Enfin, ça c'est l'histoire officielle. C'est un homme bien trop intelligent pour une si petite ville, brillant, d'une force physique colossale (deux-cents pompes tous les matins, tout de même !), d'une intégrité qui le travaille.

Être plus qu'exemplaire, savoir s'en remettre à son bon droit ou à sa carrure imposante selon les circonstances et les interlocuteurs, toujours remettre en question sa légitimité et ses motivations, c'est ce chemin étroit qu'emprunte le nouveau shérif. Il s'est constitué une équipe d'adjoints solides, qu'il pense fiables et, ainsi lesté avance dans une existence qui semble, malgré une charmante petite amie et beaucoup d'efforts, relever finalement davantage de la punition que de la félicité.

Ca commence par un appel sur les radios de police : une fusillade au lycée de la ville. Un jeune homme noir a tiré à bout portant sur un professeur blanc adulé par ses élèves. Dans le face à face qui opposera les forces de police et le tueur, ce dernier sera abattu.

Déroule la longue spirale des conséquences à tout cela. D'ailleurs non, pas les conséquences mais bien plutôt l'exhumation des causes multiples de cette crise ultime. Deux morts pour une boite de Pandore bien fournie en atrocités, assassinats, sévices, violences et abus qui continuent d'irradier de leur puissance maléfique un présent aveugle et sourd.

Au médecin légiste passablement secouée par les autopsies qu'il y a eu à pratiquer qui l'interroge sur le pourquoi de tels actes, Titus finira par répondre : « ils font ça parce que ça leur plaît. Ils font ça parce qu'ils le peuvent. Je crains qu'il ne faille pas chercher beaucoup plus loin. » Double drame d'une puissance sans limite et d'une absence de tout recours rationnel.

Voilà une ville mythique et son représentant en proie avec les furies du mal. Un saule dont les racines enserrent les contours de ce qu'on dépose à son pied, des serpents pour adorer un Dieu salement absent, un enfant illégitime abandonné, des turpitudes, des obsessions, du sang, des silences et des manques. C'est tout un territoire, toute une population qui souffrent des meurtres qui seront révélés. La terre exsude le sang et les larmes, les hommes qui y vivent en sont autant la proie que les continuateurs d'une violence insensée.

A la veine noire d'un roman bien ancré dans un réalisme social justement rendu, s'adjoint le contre-chant mystérieux et profond des psychés humaines. Les questions de la faute, de la rémission que l'on s'accorde ou non hantent les pages, influent sur les décisions. Faute originelle de ces Blancs esclavagistes, révolte de principe de ces Noirs jamais définis autrement que par la couleur de leur peau. Faute imaginaire d'un enfant trop vite orphelin. Faute ou orgueil de qui préfère se savoir pécheur qu'impuissant. Ca tourne et ça encercle bien au-delà de la seule enquête. Ca sort de ces lieux maudits peut-être aussi, du tragique d'une destinée humaine faite de sang et d'obscurité.

Ce qui rend le Sang des innocents si réussi n'est donc pas une intrigue policière finalement assez peu convaincante mais bien plutôt la grandeur de notre homme à l'étoile. Titus est un ours, un roc qui pleure de l'intérieur. On l'aime, on le plaint (mais on ne le lui montre pas, il risquerait de mordre), on l'admire, on le craint un peu et on tremble qu'il lui arrive quoi que ce soit. On aimerait qu'il se laisse aimer aussi. C'est pas gagné. C'est un personnage héroïque, un vrai, de ceux dont la fêlure originelle garantit la solidité. Un pote pour Mary-Pat, Michel l'a dit déjà et c'est incontestable. La raison principale de succomber à cet excellent roman.
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Eloge du Lourd

Lourd :
Il y a plusieurs points communs entre Tim Willocks, R.J. Ellory et S.A. Cosby. Tous les trois aiment la bonnes chère (c'est sans doute pourquoi ils aiment tant venir à Quais du Polar), ont une solide constitution (le biceps de Cosby est aussi volumineux que trois de mes cuisses) et imaginent des héros croulant sous la lourdeur de leur histoire.
S.A. Cosby, pour le Sang des innocents, nous présente Titus, un colosse redoutable, devenu le premier shérif noir de Charon. Vous vous demandez sans doute où se trouve Charon (sinon en enfer)?
Il faut imaginer le sud de la Chesapeake Bay, en Virginie, dans une de ces villes où trône la statue indéboulonnable d'un héros confédéré . Élu miraculeusement, Titus est un « bounty » pour les uns, un « sale nègre » pour les autres. Il n'a pas la vie facile.
D'ailleurs, il a eu une autre vie, avant. Lorsqu'il était agent du FBI. Mais ça ne s'est pas très bien passé…Depuis il est devenu une sorte de héros kantien : la loi, c'est la loi.

C'est du lourd:
Tout commence par une tuerie au lycée du coin. Un jeune noir a assassiné un prof. Panique. Lorsqu'il sort sur le parvis, il est accueilli par Titus et ses deux adjoints blancs qui le dézinguent..un peu trop rapidement.
Et c'est le début d'une sordide histoire aux multiples ramifications. Les scènes d'action sont jouées au ralenti mais le rythme est trépidant. Il faut dire qu'ici, tout le monde se connait. Entre les racistes/suprémacistes sudistes et la communauté noire ( menée par différentes églises évangélistes), il y a la zone grise des pécheurs de crabes, des ouvriers de l'usine de drapeaux, des dealers et des chômeurs .
L'action rebondit donc sans arrêt : macabres découvertes et nouveaux suspects.
Titus, comme une certaine Mary Pat (cf le Silence de Denis Lehane), suit son chemin semé d'embuches, va vers son destin de shérif noir que rien ni personne n'arrêtera . On piste donc un tueur en série particulièrement abominable, spécialiste des armes blanches très affutées…

L'Histoire de la Virginie du sud est lourde:
On parle d'une terre imbibée du sang des innocents où les fantômes du passé se ré-incarnent sans arrêt parce que rien n'est fini, rien n'est oublié de l'esclavagisme et de la guerre de sécession. le populisme blanc, le néo-ségrégationnisme ne trouvent que des fanatiques religieux sur leurs chemins de douleur.
Mais Titus est là. Et il n'est pas tout seul. Les personnages se déploient petit à petit, sobrement éclairés par le narrateur. Comme Marquis, le frère mal-aimé, Clara, l'adjointe latinos, ou encore Darlène, la très patiente chérie de Titus etc.

Cette lourdeur infiltre aussi les dialogues : on parle simplement et le moins possible, le silence est palpable.

S.A. Cosby ré-invente le polar classique.
La scène de clôture est absolument magnifique et Titus mérite de figurer au panthéon des héros mythiques.

Du lourd, donc…
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En matière de polar, Cosby connaît la musique. Mais il fait bien davantage que de réciter ses gammes. le sang des innocents joue une mélodie du malheur dans laquelle le traitement de la population noire actuelle aux États-Unis en est le refrain lancinant.

Son précédent roman, La colère, avait déjà mis en avant cette Amérique des contraires, à travers un sujet qui sortait vraiment du lot. Cette fois-ci, la thématique et l'ambiance générale sont plus classiques, mais le roman n'en est pas moins épatant.

C'est l'histoire de Charon, petite bourgade typique du Sud, qui va payer au prix fort son passage vers les enfers. Ou plutôt le récit de ses habitants à travers le drame, et la manière dont ils vont se déchirer.

« Oui, les petites villes sont à l'image des gens qui les peuplent. Tôt ou tard, elles finissent par livrer leurs secrets, mais pour cela, il faut d'abord payer le prix du sang ».

C'est aussi le récit de ce qu'est être un shérif noir dans cette partie du pays où les traditions ont la dent dure. Où les tensions raciales sont toujours bien présentes, à fleur de peau, une partie de la population regrettant les temps anciens et vénérant encore les « illustres » personnages du passé qui étaient de vrais négriers.

Cette Amérique-là est encore et toujours au bord de la rupture, et il ne faut pas grand-chose pour allumer la mèche qui embrase les oppositions raciales.

Le roman raconte ces dissensions en toile de fond, à travers une enquête policière racée, qui flirte parfois avec le thriller.

Tout commence par une tuerie dans un lycée, un classique outre-Atlantique. Sauf que ce qui va être découvert sur le tueur et sa victime, le gentil professeur que tout le monde semble apprécier, va bousculer l'ensemble de la population de Charon. D'autant plus que ce que révèle l'enquête ne fera que déclencher d'autres horreurs.

Un shérif noir dans le Sud, il fallait un concours de circonstances pour qu'il puisse être élu. Titus est un ancien du FBI, une tête, qui a décidé de revenir aux sources, dans sa ville d'origine.

L'ambiance, les événements vont avoir comme point d'appui cet homme-là. Un homme de raison, mais qui sait laisser parler ses émotions. Qui a accepté ce poste en espérant naïvement pouvoir changer le système de l'intérieur.

J'ai follement aimé ce personnage, sa droiture comme ses démons intérieurs, ses valeurs et son abnégation. Formidable !

L'écrivain nous rappelle combien chaque individu comporte plusieurs facettes. Que, sans mauvais jeu de mots, aucun n'est tout blanc ou tout noir.

Son récit en creux, autant que son intrigue policière, lui permettent de décortiquer les relations entre les personnes et entre les communautés. Parce que les Hommes ont toujours tendance à compliquer les choses.

A l'image de ce représentant de la loi, vu par la communauté noire qui l'a pourtant élu, non plus comme un des leurs, mais avant tout comme un shérif. Les prismes changent.

A l'opposé, les réactions ataviques doivent être contenues sans provocation par Titus, dans un état où la terreur du grand remplacement est omniprésente (l'auteur utilise l'expression). Pour les blancs, tous ces vieux réflexes ne cachent souvent qu'appât du gain et peur de perdre ses avantages.

L'auteur sait jouer la corde sensible, et faire avec subtilité. Mais il sait également tirer à boulets rouges sur les comportements et l'égoïsme ambiant. Avec de nombreuses diatribes bien senties, à travers les propos de ses personnages, comme contre la religion.

Mais le roman n'est pas un pamphlet, c'est un sacrément bon polar ! Avec de la tension, des surprises, un final dantesque. Un auteur qui maîtrise les codes pour mieux raconter une vraie histoire, et surtout dessiner de bons personnages à travers cette petite ville. Avec un talent d'immersion digne d'un Stephen King, dans un autre style.

Le genre de roman qu'on n'a pas envie de mettre de côté, pris dans l'atmosphère autant que touché par les sujets traités. Un texte régulièrement ponctué d'échanges verbaux juteux.

Le sang des innocents coule encore et encore, à travers la relation des noirs et du Sud. S.A. Cosby s'en sert comme terreau pour un excellent polar, entre violences et émotions, et démontre une fois de plus qu'il est un auteur à suivre de très près.
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
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