Ariane Bois est à l'honneur en ce moment sur Babelio avec «
L'amour au temps des éléphants ». Devant le coup de coeur de @Fanfanouche24, j'ai eu envie de découvrir cette auteure. J'ai donc suivi le conseil de @Frconstant et de @Gouelan en commençant ma découverte par «
le Gardien de nos frères » et je les en remercie tant ce fut un important moment de lecture.
Ariane Bois est d'origine juive turque par sa branche maternelle. Elle a obtenu un DEA à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris en histoire sur « La résistance juive organisée en France » autant dire qu'elle maîtrise son sujet.
Ariane Bois choisit la fiction historique, romanesque afin d'évoquer un sujet délicat et déchirant, celui des «enfants juifs cachés en France pendant la seconde guerre mondiale. Pour illustrer son propos et emporter son lecteur, elle s'appuie à la fois sur ses recherches liées à son DEA et une documentation assez conséquente que l'on retrouve en fin de livre.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, Simon et Léna, deux jeunes gens d'identité juive mais originaires de deux univers diamétralement opposés, vont se rencontrer. Elle, polonaise, rescapée du ghetto de Varsovie, issue d'un milieu pauvre et religieux, parlant le yiddish et Simon, français, descendant d'une longue lignée de juifs alsaciens, famille de grand bourgeois, cultivée, républicaine, laïque, athée, vont tenter d'exister, briser cette solitude, ce vide monstrueux qui s'est installé au creux de leur existence. Réunis, malgré eux, dans un destin commun, chacun habité par sa propre motivation, ils vont être réunis dans une quête qui va redonner un sens à leur vie.
Simon, ancien maquisard et scout au sein des Eclaireurs Israélites de France, se retrouve, à la sortie de la seconde guerre mondiale, brisé, orphelin. Sa soeur Madeleine et son frère Lucien, sont tous les deux décédés lors d'une mission. Il ne lui reste plus qu'un petit frère Elie, confié à leur nounou, elle-même victime d'une crise cardiaque. Qu'est devenu Elie ? Qu'a-t-il subi ? Simon se lance alors à la recherche d'Elie et intègre la filière de ceux que l'on appelle « Les dépisteurs ».
Lecture addictive, dotée d'une profonde humanité, passionnante et enrichissante, Ariane Bois nous livre un pan de l'histoire de la résistance juive notamment dans les environs de Toulouse et de Montauban. La quête de Simon retrace le sort de ces enfants dont les parents ne reviendront pas, ces enfants cachés, rescapés de la Shoah, parfois séparés de leurs parents très jeunes. Ils connaissent trop vite et trop bien les changements d'identité, l'errance de cachette en cachette, l'impact de la violence sur leur psychisme, le sentiment d'abandon, l'incompréhension devant le mot « juif ». Certains sont accueillis dans de chaleureuses familles qui prendront, plus tard, le titre de « Juste », mais d'autres ont moins de chance et se trouvent placés au sein de familles maltraitantes, exploitant les enfants. Ariane Bois nous fait pressentir toutes ces dérives avec retenue, sans jamais enliser le récit dans l'horreur ; l'histoire se suffisant à elle-même.
Ce roman retrace aussi la genèse de ces filières comme le réseau Garel ou l'OSE (Oeuvre de secours aux enfants) et la Maison d'accueil de Jouy-en-Josas. Elle rend ainsi hommage à tous ces réseaux, à toute cette chaîne humaine, à tous ceux qui ont contribué à sauver ces enfants comme les réseaux catholiques et protestants. Ariane Bois met aussi en évidence l'opposition à la barbarie nazie dont ont fait preuve Mgr Saliège de Toulouse, Mgr Théas de Montauban, Mgr Moussaron d'Albi.
Elle évoque, également, le refus de certaines familles, soutenues par l'Eglise catholique, qui refuseront de restituer ces enfants à leur famille ou à ces maisons d'accueil. Ces drames deviendront l'objet de procédures entre l'église catholique et les autorités juives, comme l'affaire Finaly.
Ce livre soulève aussi beaucoup de question sur la société française d'hier comme sur le devenir de ses enfants. Comment leur redonner leur identité, leur dignité. Si tous ces enfants n'ont pas été écoutés au sortir de la guerre, depuis plusieurs années, des associations se sont créées pour donner la parole à tous ces enfants devenus des retraités aujourd'hui.
C'est un livre écrit pour un large public à la lecture duquel, tout être humain ne peut qu'être bouleversé par le sort de ces enfants et ce livre suscite toujours les mêmes interrogations lancinantes sur l'être humain. L'empathie de l'auteure pour ces enfants, sa tendresse, son questionnement émerge de cette quête, elle a aussi écrit un livre sur ces petits de l'Ile de la Réunion, c'est un thème qui lui est cher. Je vais continuer ma découverte.
Pour approfondir cette recherche, la documentation en fin de livre est nombreuse. J'ai une pensée pour
Boris Cyrulnik qui a connu cette clandestinité. A lire aussi, pour un large public, «
L'enfant de Noé » d'
Eric-Emmanuel Schmitt qui soulève la question de la transmission de l'identité pour ces enfants cachés.
« Un homme n'est jamais si grand que lorsqu'il est à genoux pour aider un enfant »
Pythagore