Découverte grâce à son premier roman,
Solak, magnifique huis-clos arctique, comment ne pas continuer à lire
Caroline Hinault pour le plaisir de savourer une fois encore une écriture de qualité, un sujet étonnant, une excellente maîtrise de la construction romanesque. Alors en route pour "
traverser les forêts".
Les forêts en question sont celles qualifiées de primaires, qui se situent aux confins de la Pologne et de la Biélorussie, renfermant une frontière particulièrement espérée par les centaines de migrants arrivant du Sud et de l'Est, désireux de passer en Europe pour fuir les oppressions et autres dictatures. Mais cette frontière, simple barbelé défendant le monde occidental est, depuis 2021, surveillée en permanence tant par les soldats biélorusses côté est que par les militaires polonais côté ouest pour traquer les sans-papiers, les sans-lieu, les désespérés en quête d'un exil supportable.
Cette forêt primaire, peuplée d'une faune sauvage, ne recèle que peu de chemins forestiers, et se développe en un enchevêtrement d'arbres immenses, de fourrés épais, intraversables, de caches improbables et inhospitalières. Trois femmes, aux origines très différentes, vivent dans cet environnement hostile, et le lecteur les découvre l'une après l'autre, illustrant des circonstances qui pourraient concerner chacun de nous au gré des événements de la vie.
Alma, tente de franchir la frontière en direction de la Pologne pour fuir le durcissement du climat répressif en Russie, où d'ailleurs sa soeur est morte dans un attentat. Elle a pu arriver en Biélorussie car son passeport l'y autorisait, mais l'Europe c'est autre chose !
Nina, elle, vient de se séparer de son mari, et habite de nouveau la maison forestière qu'elle a héritée de ses parents, à l'orée de la forêt primaire. Elle avait tenté sa chance en Pologne, sa beauté lui servant de passeport pour le mannequinat, mais de désillusion en rejet, elle est rentrée au pays, et travaille désormais dans un supermarché, se laissant peu à peu gagner par une rancoeur sourde.
Véra, enfin, journaliste biélorusse engagée, ayant couvert nombre de conflits, jusque dans son propre pays, a choisi de s'exiler après la manifestation de trop, et s'installe pour un séjour prolongé dans une cabane immergée côté polonais, tout près de cette fameuse frontière. Elle espère se retrouver, lire, écrire, prendre du recul.
La forêt n'est pas la même pour ces trois femmes, chacune aux prises avec ses envies, ses peurs, ses souvenirs, ses illusions, ses espoirs. Et pour nous lecteurs, le lien se fait peu à peu entre ces trois vies si différentes, dans la tension qu'imprime l'actualité politique et dans la découverte d'une nature où l'homme n'a pas son "mot" à dire, sauf à y introduire une violence trop humaine. de fois en fois dans le texte de ce formidable roman, des citations, des extraits de
la Divine Comédie de
Dante, viennent rythmer la lecture et lui donner une dimension poétique qui adoucit la force brutale de ce qui se raconte.
Caroline Hinault nous donne à lire un roman fort, épique, au plus près d'une nature non abîmée par l'homme, où le lecteur ne peut que s'impliquer organiquement dans la compréhension de ses peurs et désirs, en prise directe avec les temps actuels.