Citations de Lola Lafon (1211)
La résignation est un suicide quotidien
Ce livre est un décompte, auquel nous assistons. Nous en redoutons l’issue, nous savons qu’après le 4 août, date de l’arrestation des Frank, il n’y aura plus de mots. Ce livre, nous en connaissons la fin ; l’autrice, elle, l’ignore.
Ce n'est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche.
Toutes les familles étaient tissées d'histoires, qu'un chœur de vies perpétuait. Les histoires-sédiments cimentaient le clan plus sûrement que les naissances et les anniversaires, ces évocations du jour où, de la fois où...
Avant de s'endormir, Cléo avait humé Opium par petites inspirations, nuage de fumée sucrée.
Le danger avait l'haleine tiède d'un animal assoupi.
Et puis un copain d'enfance est appelé sous les drapeaux. Et puis un autre. Ils partent combattre un mot, ils n'ont aucune idée de ce que ce mot représente, le communisme, ils savent ce qu'on leur en a dit. Ils brandissent avec fierté leur liberté américaine, elle triomphera de la barbarie et ils seront de retour à Noël. Et c'est vrai leurs cercueils recouverts de la bannière étoilée seront rendus à leur famille à la date promise.
Le communisme ? Mais personne n'y croyait, enfin, pas même les sécuristes ! Alors que maintenant ... Ils y croient ! Ils en veulent ! Ils sont prêts à tout pour entrer dans votre Union européenne, à genoux devant saint Libéral, ils sortent du boulot à 23 heures, tout ça pour quoi ? Je ne suis pas partie en vacances depuis six ans ! Mes parents eux, sous Ceausescu, allaient à la mer et à la montagne, au restaurant, au concert, au cirque, au cinéma, au théâtre ! Tout le monde gagnait plus ou moins la même chose, les prix n'augmentaient presque pas ! Ils avaient constamment peur, c'est vrai, peur qu'on ne les entende dire des choses interdites, aujourd'hui, on peut tout dire, félicitations, seulement personne ne nous entend ... Avant on n'avait pas le droit de sortir de Roumanie, mais aujourd'hui personne n'a les moyens de quitter le pays ... Ah, la censure politique est terminée, mais pas de souci, elle a été remplacée par la censure économique !
Ecrire est un engagement à ferrailler. On s'engage dans l'écriture comme dans une armée imaginaire, où l'on serait à la fois général et aspirant soldat.
Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimés, ils se déposent au creux de nos peines, de nos manques, ils contiennent tout ce qui se dérobe à nous, qui passe sans qu'on ait pu le comprendre, nous sommes faits d'histoires qui ne nous appartiennent pas, elles nous irriguent et nous hantent.
[…] a-t-on pour toujours l’âge auquel on cesse de vivre ?
-- C'est quoi l'anarcho-féminisme ?
-- C'est l'importance de réaliser que si le féminisme c'est reproduire le monde tel qu'il est , avec les femmes à la place des hommes dans la même structure , en ce qui me concerne , ça ne m'intéresse pas . Il ne faut pas qu'il y ait des femmes qui reproduisent une société inégale . Marine Le Pen , ce n'est pas le féminisme , pour moi c'est un piège . C'est pour ça que la parité c'est compliqué . En revanche , je crois en l'intersectionnalité , je crois qu'on ne peut pas parler de féminisme si l'on ne parle pas de racisme , et si l'on ne parle pas de classes . Pour moi tout se croise .
L'obscurité se faisait dans la salle, ils l'accueillaient avec des chuchotements ravis, elle dissoudrait soucis, dettes et solitudes. Chaque soir, lorsque Cléo entrait sur scène, la chaleur poussiéreuse des projecteurs la surprenait jusqu'au creux des reins.
Les danseuses surgissaient, parcourues d'un fil de grâce et de cambrure, les bras ouverts, légèrement arrondis, elles redéfinissaient l'horizon, une ligne endiamantée de sourires identiques et laqués, un ensemble de jambes ordonnées, une exubérance froufroutante et pailletée.
A la sortie du théâtre, les spectateurs les croisaient sans les reconnaître, des jeunes filles pâlottes et fatiguées aux cheveux ternis de laque.
Des pages et des pages d'absurdes détails obtenus auprès des voisins, des amis, des collègues, eux-mêmes peut être surveillés par ceux-là qu'ils pensent surveiller. Des enchevêtrements de riens, censés tresser serré les souffles de chacun, jusqu'à ce que plus personne, dans le pays n'envisage d'ouvrir la bouche.
Assisste-t-on à l'émergence d'une nouvelle génération de bébés gymnastes ou sera-t-elle un épiphénomène ? C'est un séisme géopolitique. Les entraîneurs soviétiques se font sermonner : on va pas laisser la Roumanie nous humilier, camarades, Ludmila va nous sauver!
Elle laisse souvent passer des semaines avant de répondre aux mails, une façon de réinstaurer le droit du temps, d'ôter de leur soudaineté autoritaire à ces messages qui surgissent plutôt qu'ils n'arrivent.
« Ça s’apprend, un corps rapide .
Quelqu’un qui prête des livres, en conseille des passages et souligne des mots , les explique , ça s’apprend, tout s’apprend et se désapprend.
Quelqu’un ou alors personne.
Personne pour ordonner, personne pour décider à sa place » ....
Je pense au cynisme , à l'arrogance de cet état qui libère Maurice Papon et pas Nathalie Ménigon et Joelle Aubron . La France fait silence , un immense silence gêné , comme un blanc dans une conversation entre différents droits de l'homme grimaçants . ( extrait d'un article dans " Libération " de juin 2004 )
Les cuisses écartées comme un poulet qu'on va farcir. Tellement disgracieux, cette immobilité-il lui tient les genoux, donne les indications, oui comme ça bébé, voilà, elle tente de s'exécuter au mieux. Ça ressemble à une opération pour laquelle il est recommandé de se détendre avant d'être incisée. La fine couche de graisse dont elle a laissé son corps se recouvrir pour passer inaperçue n'y change rien, il lui empoigne l'avant-bras et s'esclaffe : " Oh merde, faut que je me tienne à carreau, tu me battrais au bras de fer, toi".
Voilà, ça a été vite après. Une ordonnance de non-lieu a été rendue mais l’avocat a dit que c n’était pas « négatif, mademoiselle, pas du tout, ils reconnaissent l’existence de l’infraction… Mais hélas ils n’ont pas assez de preuves pour poursuivre ».
Il n’y avait pas de caméra sous le lit.
Non-lieu ne veut pas dire que ça n’a pas eu lieu, comme je le croyais au départ. Ce n’est qu’un mot choisi parmi tant d’autres pour dire à voix mesurée : « Merci. Votre candidature au cauchemar est intéressante. Cependant, il me semble qu’il y manque quelques éléments, comme peut-être votre avis de décès, vous êtes vivante après tout, et jeune. Suivante s’il vous plaît. » Non-lieu est le mot qu’on reçoit en échange du récit qu’on fait des dizaines de fois de « l’acte ».
Ça veut dire qu’il n’y a pas lieu de poursuivre, pas du tout.
Ça veut dire c’est pas grave pas si grave en tout cas.
Ou encore qu’est-ce que tu veux qu’on fasse.
Ou peut-être tu vas pas nous prendre la tête avec ça.
Il n’y avait plus rien à faire.
En 1989, ont-ils donné leur vie pour que nous ayons plus de Coca-Cola et de McDonald's ? Ont-ils donné leur vie pour que nous devenions esclaves du FMI ? Sont-ils morts pour que nous nous enfuyions toujours plus loin de cette Roumanie qui ne peut nous offrir une vie décente ? Morts pour que des milliers de personnes âgées dorment dehors et meurent de froid ? Sont-ils morts pour que l’Église orthodoxe soit cette affaire prospère qui ne paye aucun impôt à l’État ? En 1989, ils ont donné leur vie pour notre liberté. Ce fut leur cadeau de Noël. Ou est ce cadeau ? Qu'avons-nous fait de cette liberté ? Est-elle rangée dans une cave ou la suivons-nous d'un œil distrait comme une vieille émission télévisée ?