Voici une nouvelle pour le moins étrange et déconcertante.
Oss est un titre, mais aussi un village, un tout petit village de pêcheurs. L'auteur décrit très peu le monde dans lequel évoluent ses protagonistes : au-delà d'
Oss, il y a d'autres petits villages… Mais après ? Y-a-t-il quelque part une « vraie » civilisation ? Une vraie ville ? Un État ? Où se passe l'histoire, dans quel pays ? On ne sait pas, et cela fait partie du mystère de cette nouvelle.
Les personnages sont torturés, déchirés. le problème, c'est qu'on ne sait pas par quoi. C'est comme s'ils avaient commis quelque chose d'affreux il y a quelques années et qu'ils évitent soigneusement le sujet. Même les enfants ne semblent pas innocents, en particulier Noé. On ne sait pas quel âge elle a (le pasteur l'estime entre quinze et vingt-cinq ans, ça nous aide), mais son comportement laisse à penser qu'elle a moins de vingt ans.
Ce qui ne l'empêche pas d'avoir une relation sado maso avec le pasteur Lô, qui doit avoir grand minimum le double de son âge.Audrée Wilhelmy laisse une grande place à l'amoralité. le pasteur
, pourtant sensé montrer le bon exemple pour ses fidèles, commet le péché de chair avec Noé sans regret. Il devrait aimer ses paroissiens, mais les méprise : ce sont des moutons qu'il doit abreuver de fausse spiritualité. En somme, son statut est un travail, non une vocation. Noé, jeune fille, se laisse violer à de nombreuses reprises sans réellement se battre, sa relation avec sa mère, Grumme, est extrêmement froide
(elle n'est pas triste quand elle meurt). D'ailleurs personne ne pleure, personne ne regrette la morte le jour de l'enterrement. Tout le monde est même presque soulagé. C'est comme si les gens n'avaient plus de coeur. Ils sont anesthésiés. Presque déshumanisés.
Rameau, un jeune homme du village, clôture cette novella et la fin se profile très bien pour lui, alors qu'il a fait quelque chose d'horrible cinq pages avant. Également, on apprend qu'il est à l'origine d'une grande partie des événements. C'est une histoire poisseuse, mais en même temps extrêmement bien écrite, à la fois sale et poétique. Ce décalage entre le ton et la dureté du propos m'a fascinée.
Indirectement, c'est un livre qui aborde le thème de la religion. Il n'y a qu'à voir le prénom du personnage principal – Noé. Amusant de constater que c'est une fille et que ça lui va bien. Noé, donc, couche avec un pasteur peu crédible dans son rôle, qui remplit sa fonction comme un maire aurait rempli la sienne : avec des paroles creuses, dénuées d'intentions. Cette tonalité désabusée plane sur toutes les thématiques : la mort, le viol, l'amour... C'est un monde dénué de tendresse.
Notons aussi la signification du nom de Rameau : ce personnage est-il une allusion à la fête des Rameaux, une semaine avant Pâques ?
Ce que j'ai le plus regretté, c'est la petitesse de la nouvelle. En une heure, c'est bouclé et on passe à autre chose. J'aurais vraiment aimé que l'auteur développe ses personnages, son histoire, son monde… Que deviennent Noé et Rameau ? Que devient le village ? La fin, très rapide, me paraissait plus bâclée que le reste de la nouvelle.
En fait, même si c'est une oeuvre déstabilisante, j'en aurais voulu un peu plus. J'ai appris qu'
Oss était une oeuvre de mémoire, avec un certain quota de pages, et cela explique peut-être pourquoi je me suis sentie insatisfaite.
Oss reste une très belle découverte, une véritable incursion dans l'imaginaire d'
Audrée Wilhelmy, dont j'escompte bien suivre les publications. Je retiendrai de cette nouvelle le contraste entre son écriture fantastique, sensible et belle, et l'amoralité et la noirceur qui se dégagent de ses pages.