MÊME DANS LE DRAME, FONDER L'ESPOIR
Quel avenir possible, aujourd'hui, lorsqu'on est un pauvre gosse des rues, perdu loin de toute famille, dans une grande ville d'Afrique ?
C'est, pour aller vite, la question que nous pose
Karen Stornelli, humanitaire sensible et empathique, engagée dans la protection et, pour autant que cela puisse se faire, l'éducation de ces centaines d'enfants livrés à eux-mêmes, pour le compte de l'association
ATD-Quart-Monde.
Abdou, prénom-titre de ce saisissant petit roman documentaire destiné à la jeunesse dresse ainsi le portrait de l'un d'eux - un, parmi tant d'autres -, jeune garçon de dix-douze ans qui, malgré son jeune, semble avoir déjà vécu plusieurs vies en une seule : né en
Côte d'Ivoire après que sa mère eut quitté son Burkina Faso natal enceinte, il vivra ses premières années dans la grande capitale côtière d'Abidjan. de ces années-là, le jeune
Abdou en concevra un amour immodéré pour l'Océan et la pêche. Hélas, sa maman, malade, mourra avant d'avoir eu le temps de l'élever jusqu'à l'âge adulte. C'est son oncle, un gentil bonhomme originaire du village peul de sa famille qui viendra l'y chercher, le ramènera au sein d'une famille, auprès d'un père burkinabé qu'il ne connais pas, de ses deux jeunes femmes qui ne l'aiment pas et qui privilégient leurs propres enfants.
Très vite, et malgré un apprentissage chez un soudeur où l'enfant semble non seulement attentif, appliqué mais aussi plutôt doué de ses mains,
Abdou prendra la fuite vers la magnétique grande ville et capitale du pays, Ouagadougou, non sans dérober au passage quelque argent familial. Là-bas, il retrouvera d'autres enfants, comme lui en rupture de société, certains sans famille, d'autres confrontés à des problèmes de remariage, d'autres encore ayant simplement voulu fuir un destin villageois qui ne leur allait pas. Tous ont en commun de vivre dans un extrême dénuement, de survivre grâce à la mendicité et de quelques petits boulots mal rémunérés, ainsi que de l'aide inestimable - en nourriture, en vêtement mais surtout, sans doute plus que le reste, en humanité - des ONG localement présentes, dont ATD-Quart monde. La plupart d'entre eux boivent déjà, sniffent de la colle. Abdu, le malingre enfant peul, jamais.
Ainsi, autour d'une place nommée Cour aux cent métiers, les enfants apprennent-ils les bases d'un artisanat - pour
Abdou, ça sera la couture pour laquelle il semble véritablement très doué -, de même qu'autour d'une bibliothèque itinérante - la bibliothèque sous les lampadaires - apprennent-ils quelques bases de français, pour certains de lecture.
Mais
Abdou est différent des autres enfants. Il est plus malingre - toujours un peu souffrant, cette sale maladie de peau refusant de partir, malgré les quelques soins donnés -, plus intérieur peut-être, mais fascinant aussi, au point qu'une de ces humanitaires françaises le distingue parmi tant d'autres.
Il y aura aussi les expériences de retour au sein de la famille, pour Abdu comme pour ses petits camarades. Pour beaucoup, c'est le début d'une quasi résurrection, de grandes retrouvailles qui, certes, mettent du temps à s'installer, mais dont on a bon espoir qu'elles dureront. Pour Abdu, il en va autrement : malgré cette bonne entente entre cet oncle patient et débonnaire, Abdu s'enfuira à plusieurs reprises, chaque retour s'espaçant de plus en plus, jusqu'à ce qu'enfin, par l'insistance des bénévoles, l'enfant se voit enfin soigné en milieu hospitalier. La conclusion est, hélas, dramatique :
Abdou est séropositif et la maladie a déjà commencé à faire dans son petit corps de nombreux dégâts. Malgré l'aide incommensurable de son oncle qui fera tout son possible pour que l'enfant suive son traitement, c'est une lente descente vers la mort qui l'attend désormais.
Mais ce qui aurait pu s'avérer n'être qu'un drame de la misère de plus se transforme en un étonnant message d'espoir, de réflexion, car cette mort d'un enfant au destin si compliqué, et, dans une large mesure, archétypal va bouleverser les consciences. Une mosaïque rappelant son amour pour la pêche et la mer sera même inaugurée sur cette fameuse cour où il avait commencé d'apprendre les bases d'un beau métier. Afin de ne jamais oublier le drame éternel de cet enfant perdu.
Cette vie, ce qu'elle représente pour tous, enfants comme adultes, c'est l'autrice qui en résume le mieux les attendus : «Et c'est ce que je retiens de notre temps avec toi : combien on peut vivre, essayer, aimer, et créer dans l'espace d'un tout petit bout d'espoir.»
Ouvrage reçu dans le cadre de la dernière Masse Critique jeunesse de notre cher Babelio.com, envoyé gracieusement par les Éditions
ATD-Quart Monde dont il est bon de rappeler l'essentiel travail auprès des populations pauvres d'ici et d'ailleurs, ce Roman documentaire rédigé avec beaucoup de tendresse, d'humanité, cet
Abdou est un texte d'une grande force aussi, qui pourra être proposé à des élèves de niveau CM et de début collège, non sans quelque "préparation" et contextualisation, sans doute, car l'ensemble est d'autant plus dur, sur le fond, qu'il est tiré d'un témoignage vécu, mais qui est une manière très délicate et forte à la fois d'aborder les thèmes de la pauvreté, de la maladie, des tensions inter-ethniques, des difficultés familiales, de l'éducation, etc.
Une magnifique leçon de vie.