“Ô nuit si tu apprenais combien je te regarde”
Dans sa Préface,
Marguerite Yourcenar souligne les trois qualités de la
poésie de
Rilke : “le respect, la patience et l'attente”. le poète guète patiemment un signe de la nuit, mais son attente n'est pas sans risque “la vie consume” et “la joie est folie” écrit
Rilke.
“Ô je veux m'appliquer à être impassible comme les pierres serties dans la forme pure”. Les
Poèmes à la Nuit sont comme une méditation concentrée, dédiée à une entité, un “espace” : la nuit. Dans le dépouillement, la solitude, l'auteur du Livre de la Pauvreté et de la Mort peut espérer obtenir l'esquisse d'une réponse de la nuit et de son Ange.
Qu'a-t-il pu recevoir de la nuit en lui parlant le langage de la
poésie ? L'avare clarté des astres lointains n'éclaire pas suffisamment le lecteur.
Cependant, sans parvenir à dissiper l'opaque brume qui entoure le sens de ces
poèmes, on ressent un attrait non feint pour le mystique message versifié de
Rilke, quelque part entre recueillement et élégie, la profondeur spirituelle pénètre de son charme le lecteur, lorsque
Rilke prêche, implore, invoque, traduit, d'une façon si enveloppante les mots de la sorgue, on a un peu l'impression d'être sauvé…
Il nous faut accepter de ne pas viscéralement nous reconnaître dans son élan, “chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière” écrivait
Victor Hugo.
Rilke parle à sa nuit et qui n'est pas tout à fait la nôtre, mais pas assez étrangère pour qu'aucune réverbération parallèle ne se fasse entre les hiératiques et ténébreuses voûtes célestes du poète et le grêle crépuscule urbain du lecteur d'aujourd'hui. Chacun sa nuit sous les mêmes étoiles.
Cela me rappelle la nuit de
Borgès, le poète nous exhortant à refaire usage de la nuit : “nous vivons découvrant et oubliant
cette douce coutume de la nuit”.
L'édition bilingue permet de constater qu'en dépit de ce que
Rilke conseillait dans une correspondance récemment publiée avec Anita Ferrer : “je ne saurais vous mettre suffisamment en garde contre les tentations de la rime”, les
poèmes originaux sont bien en rimes mais la traduction sans doute s'attache plus au sens qu'à la musique. Certes, traduire c'est trahir, mais je ne serai pas aussi dur que
Yourcenar qui compare le poème traduit à une colombe sans ailes ou une sirène hors de l'eau car quelque chose, aussi infime soit-il passe le filtre de l'allemand au français, quelque chose d'inaltérable… après tout ces
poèmes n'ont ils pas été écrits à
Paris ?
Qu'en pensez-vous ?