Imagine all the people
Livin' life in peace.
(
John Lennon)
Qu'est-ce qui fait que ce petit roman publié en 1928 sous la forme d'un témoignage écrit à la première personne par un jeune soldat allemand de la guerre de 1914-1918, soit devenu un succès mondial, aussi bien de critique que de public, et qu'il n'ait pas pris une seule ride un siècle
après sa publication?
Avec ce livre, nous sommes encore une fois devant la preuve, s'il en fallait, qu'en matière de littérature :
On peut faire sublime et durable en faisant simple. On peut toucher un lectorat très large et atteindre l'universel, tout en partant de son expérience propre, sans se mettre personnellement à nu, sans effets grandiloquents, sans manichéisme de bon aloi, sans pathos superfétatoire. Avec cette pudeur de ceux qui entrevoient que l'essentiel pour chacun de nous ne s'explique jamais complètement, et que l'expérience subjective individuelle, y compris celle de l'horreur, risque de toucher un plus grand nombre, plus loin et plus large, lorsqu'elle serait plutôt suggérée que mise trop en avant ou répertoriée de manière trop appuyée.
Tel le regard frais et exempt de ce très jeune homme qui découvre en même temps que le lecteur la monstruosité de la nouvelle machine de destruction massive que le siècle XX est en train d'accoucher. Récit de guerre à la première personne, déclinant d'un point de vue intérieur cette logique implacable du front propre à transformer n'importe quel jeune homme plein de confiance dans le monde adulte et dans l'avenir, en «homme-bête», «dur, méfiant, impitoyable, vindicatif, brute». Regard sans défiance d'un jeune de 18 ans «traqué par la mort», empreint de toute la spontanéité et l'innocence propres à cet âge. Regard qui prend de la hauteur aussi, grâce à qualité littéraire de la belle langue qui le traduit avec naturel et profondeur, sans emphase distrayante cependant, sans recherche particulière sur le plan formel non plus, «caméra à l'épaule», comme l'a signalé à très juste titre un critique de l'oeuvre, ce qui confère à ce récit à la fois une grande puissance d'évocation émotionnelle et une vraisemblance quasi documentaire (Erich Marie Remarque étant par ailleurs l'un des premiers auteurs à se servir pleinement en littérature de cette technique «caméra à l'épaule» qui ferait par la suite date parmi les écrivains du XXe siècle).
Roman réaliste, enlevé, dépourvu néanmoins donc de tout sentimentalisme superflu, A L'OUEST RIEN DE NOUVEAU connut un succès mondial dès sa publication. Il reste l'un des ouvrages les plus directement accessibles et expressifs de toute la littérature de guerre du XXe siècle. Témoignant du charnier à ciel ouvert dans lequel s'était peu à peu transformée la Grande guerre, il porte en même temps un éloquent et très saisissant message universel et pacifiste. Brûlé lors du célèbre l'autodafé du 10 mai 1933 à Berlin, son auteur, ouvertement opposé dès 1932 au régime nazi, devrait quitter définitivement son pays cette même année-là.
J'avoue que je ne m'attendais vraiment pas à être aussi conquis, touché par un roman qui, comme tant d'autres, fait à un tel point partie intégrante du paysage littéraire ordinaire que l'on finit par ne se donner même plus la peine (et surtout le plaisir, dirais-je) de les lire !
Même si à mes yeux il n'y aurait pas de lecture «nécessaire», encore moins «obligatoire», mais comme c'est tout de même le cas dans certaines situations, j'avoue m'être demandé au cours de celle-ci, pourquoi donc, à la place de classiques souvent indigestes à de jeunes lecteurs qui n'ont pas encore acquis la maturité nécessaire -langagière entre autres-, pour les apprécier, ne propose-t-on pas, dans les programmes «obligatoires» de lecture au collègue un ouvrage tel celui-ci? (En sachant que peut-être il doit être proposé quelquefois par certains enseignants – (?).
Et même si malheureusement il n'y a rien de nouveau, ni à l'ouest, ni à l'est, et la littérature de son côté, il ne faut pas rêver, n'a pas le pouvoir de changer le monde, il s'agit tout simplement d'une belle lecture qu'on ne peut que recommander vivement à tous, ne serait-ce qu'au nom de ses qualités intrinsèques en tant qu'oeuvre littéraire.
Pour preuve de ce que je viens d'avancer, le fait qu' à l'instant où je rédige ce billet (qui n'aura, je pense, rien d'original non plus par rapport aux 250 critiques du livre déjà publiées sur le site !), outre une guerre aux portes de notre «ouest» à nous, déjà si éprouvé au cours du dernier siècle, et susceptible d'entraîner le continent et le reste du monde dans un éventuel troisième conflit mondial, au moins six autres conflits armés sanglants sont en ce moment même en cours à travers le monde!
Et que, de toute façon, depuis le XXVIe siècle avant J.-C., en Mésopotamie, l'humanité n'a quasiment jamais connu de périodes sans guerres.
Et que nous continuons malgré tout à subir, au XXIe
après J.-C., cette maudite et soi-disant nécessaire politique de la «paix armée» prônant toujours comme meilleure solution pour éviter la guerre, la maxime «civis pacem para bellum», formule latine n'ayant à ce jour pris, elle non plus, hélas, la moindre ride...
Et que malgré tous les massacres inutiles, malgré des générations et des générations de jeunes successivement fauchées, malgré les océans de larmes versées depuis des siècles par nos mères éplorées, malgré la Shoah, malgré tous les mouvements pacifistes, ceux de la contreculture des années 60, les hippies et tutti quanti, malgré le tube planétaire de
John Lennon, malgré tous les hymnes et toutes les conférences consacrées à la paix, rien ne permet, à ce jour, d'espérer voir cette locution latine définitivement remplacée par cette autre, à la base ô combien moins antinomique pourtant, aussi infiniment plus raisonnable sur tous les plans imaginables : «Civis pacem para pacem» : «Si tu veux la paix, prépare la paix».
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