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Geneviève Leibrich (Traducteur)
EAN : 9782020324595
432 pages
Seuil (19/03/1998)
4.18/5   25 notes
Résumé :

Si vous avez du Portugal l'image un peu irréelle d'un pays noyé de brumes atlantiques, un pays où l'on module son mal de vivre, sa saudade au rythme torturé et virtuose du fado, la prose torrentielle d'Antônio Lobo Antunes risque de faire sur vous l'effet d'un électrochoc. Amateurs d'épure, de littérature écrite au cordeau, d'histoires idylliques et d'amours admirables, s'abstenir. [...] On ne balaie pas des siècles d'oppression et de privilèges, on ne f... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
J'ai découvert l'univers d'Antonio Lobo Antunes sur les conseils d'Izabou. Mes premiers pas étaient hésitants tant je redoutais de m'empêtrer dans une oeuvre annoncée comme complexe. Alors oui, il faut être attentif pour suivre ces voix qui s'enchevêtrent et ce tourbillon de monologues égrenant confessions, souvenirs et songes. Mais, rassurez-vous, l'initiation ne prend que quelques pages et passé le préambule, on accède alors à un vrai plaisir de lecture.

Le "Traité des passions de l'âme" tient sur la confrontation entre un juge d'instruction et un terroriste d'extrême-gauche. Les deux hommes se connaissent ; ils ont grandi ensemble dans une propriété cossue de Benfica, un quartier de Lisbonne, à une différence près : le juge était le fils du jardinier, pauvre et alcoolique, qui travaillait au service du grand-père du terroriste. Ces retrouvailles vont les amener à replonger dans le monde perdu de leur enfance à un âge où tout est transgression des interdits et opposition à l'autorité. L'auteur parvient à recréer un tout un univers de douce nostalgie et de réminiscences amères. Les autres protagonistes - activistes, policiers, conjoints - prennent également part à l'oeuvre et y apportent leur pierre. Les personnages se succèdent et offrent chacun un éclairage sur les méandres de l'âme humaine. La psychologie est parfaitement rendue dans sa complexité et ses évolutions. le contexte politique proche de celui des "années de plomb" est construit avec pertinence, le recours à la violence étant justifié sur la base de l'idéologie marxiste ou sur celle de la raison d'Etat. L'auteur pose un regard acide sur les classes sociales et dépeint les déviances et l'hypocrisie de la petite bourgeoisie.

Mais ce qui prime chez Antonio Lobo Antunes, ce sont ses fulgurances poétiques, tout repose sur des images qui passent en boucle dans le récit comme un vent chaud originaire du Maroc : un verger abandonné, le passage de cargos sur le Tage, une grange à moitié démolie, les rues lisboètes imprégnées des effluves tenaces du poisson, un singe dépressif, la nidification des cigognes... Il élabore une mosaïque avec les dérivés de la conscience : souvenirs, rêves, fantasmes, spéculations, idées et sensations. le tout formant une oeuvre riche, profonde, ambitieuse mais surtout envoutante.
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Un terroriste du mouvement "17 octobre", au cours de l'enquête qui suit son arrestation, entretient un étrange dialogue avec le juge d'instruction chargé du dossier.
Dans la période agitée de l'après-révolution des oeillets, qui mit fin à la dictature de Salazar, un juge d'instruction est chargé d'interroger le membre d'une organisation terroriste. Celle-ci considérait que les idéaux de cette révolution avaient été trahis. Il se trouve que les deux hommes se connaissent, ils ont grandi ensemble. le père du juge était employé par le père du prévenu à une époque où les hiérarchies sociales semblaient encore immuables.
L'écriture d'Antonio Lobo Antunes est teintée d'une ironie cinglante mais parfois aussi elle se fait affectueuse. Elle est faite de circonvolutions. Aussi il faut prendre notre temps pour lire les histoires que nous offre cet auteur.
ll y a le juge d'instruction, l'artiste, étudiant, le curé, l'homme, le fils du fermier. Il y a des anciens de la Pide, ancienne police d'État portugaise, des conspirateurs de tous poils, des allumés, des gauchistes révolutionnaires. On retrouve chez Antonio Lobo toute la fougue d'un pays, toutes les aspirations de son peuple. Il y a ce pays donc mais il y a aussi sa ville, Lisbonne avec toutes ces odeurs et toutes ses saveurs.
Ici la trame policière n'est presque qu'un prétexte. Car Antunes ne fait pas dans l'épure. Non…C'est l'âme du Portugal et le coeur des hommes qui le font qui intéresse notre auteur. C'est tous ces caractères mélangés. C'est le présent et le passé qui s'entremêlent.
Antunes a une écriture torrentielle, il faut tranquillement dompter ce torrent et se laisser bercer par le flux des mots de l'auteur qui nous emportent avec lui dans un style fascinant au plus profond de l'essence portugaise et au-delà de celle de l'humanité toute entière.

Lien : https://collectifpolar.com/
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Les oeuvres d'Antonio Lobo Antunes se dévorent le désespoir au ventre, les larmes aux yeux, un rire amer au coin de la bouche, un froid glacial dans le dos...
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Nous aurions pu laisser l'auto dans le parking de la Judiciaire mais je n'ai pas voulu courir le risque de tomber nez à nez sur la mocheté avec laquelle ma femme avait décampé deux ans plus tôt, un sous-inspecteur squelettique avec une barbiche d'objecteur de conscience, rongé par le haschisch et les philosophies hindoues, qui l'avait emmenée en vacances en Thaïlande, un fifre de charmeur de serpents sous l'aisselle, pour y adorer des dieux à huit jambes. Un beau jour, en rentrant chez moi, je l'avais trouvée à genoux sur la moquette en train de faire sa valise, entourée de corsages et de soutiens-gorge, pendant que le gourou, mains dans les poches, vautré dans mon fauteuil, admirait sa croupe de vache sacrée et lui prodiguait des conseils Prends juste tes slips noirs, c'est ceux que je préfère, et je les ai imaginés, stores baissés, dans un rez-de-chaussée saturé d'encens à Bobadela, s'embrassant effrontément pendant mes heures de travail sur des coussins d'indienne et des faux tapis indonésiens, dans le va-et-vient des cierges qui se liquéfiaient dans des soucoupes. J'ai encore réussi à demander, indiquant l'énergumène avec mon journal plié, Qu'est-ce qu'il a cet ours que je n'ai pas? et ma femme, très calme, a cessé d'entasser des transparences en nylon, a retiré son alliance, l'a posée sur la commode et a répondu Il bande, j'ai encore essayé de discuter en la voyant fermer la valise, un genou posé dessus, serrant les courroies de cuir avec force, Ce type est la honte de la police, Manuela, j'ai même songé à gifler l'objecteur de conscience qui tapotait une cigarette sur le parquet, le nez sur une Dernière Cène en émail, mais le type m'a demandé du feu et sans réfléchir je lui ai tendu une allumette enflammée en protégeant la flamme avec mes mains parce qu'un courant d'air traître soufflait entre la cuisine et le salon (j'ai toujours soutenu que les vitres du balcon couvert joignaient mal), et pendant que je protégeais la flamme il a disparu dans le couloir avec ma femme, laquelle a lancé du vestibule Ciao Alberto, bonne chance, la porte a claqué, mes phalanges commençaient à brûler et je me suis précipité en criant vers la salle de bains pour atténuer la douleur avec de l'eau froide.
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(...) nous étions là tous les deux, la paupière collée à la lucarne pour épier les cheveux courts d'une adolescente grassouillette, frottant la vitre avec un mouchoir pour mieux distinguer ses seins, la peau de son ventre, ses orteils écartés comme une patte de crapaud, ses gestes estompés par la vapeur d'eau, ses vêtements sur le portemanteau, la poignée de la porte. Nous étions là, attendant la cuisinière dans son tablier, bras croisés sur le seuil, qui avançait sans hâte sur le sol mouillé en se défaisant de sa blouse et de sa jupe, souriant comme une plante carnivore, offrant un sein à la bouche de la bonne tout en l'étreignant contre son ventre avec la tenaille d'un coude, sauf que cette fois-là ce n'est pas la cuisinière qui est entrée (...) mais Madame, en manteau de renard avec une coiffure compliquée et de longs ongles rouges, Madame en souliers vernis à hauts talons, agenouillée sur le ciment, vous imaginez la scène, devant la petite bonne, écartant, son col, exhibant son décolleté, ses perles, les tendons fripés de son cou (...)
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Il habitait à cinq minutes de la gare dans un immeuble murmurant et sombre, avec un balcon en demi-lune où la splendeur de fer-blanc des saints d'oratoire scintillait sur les trumeaux des paliers. Il s'est souvenu du vieux patron, installé devant la toile cirée, le myosotis du verre à liqueur vacillant dans sa paume, qui leur avait envoyé à six heures du matin, un dimanche de foire, la bonne avec laquelle il couchait sans honte, il y a vingt ou trente ans, dans le lit orné de damas de ses aïeux, laquelle avait débarqué à leur porte avant le fracas des mortiers et de la philharmonie de Mortagua qui jouait des paso doble héroïques sur une estrade de fortune.
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Ne vaudrait-il pas mieux humaniser les interrogatoires, le changer de cellule, le nourrir convenablement, cesser de le réveiller au beau milieu de la nuit, le laisser en paix pour quelques jours? a suggéré le Juge d'instruction d'un ton embarrassé en éprouvant la solidité d'un bouton sur le point de se détacher de sa chemise. A force d'être harcelé ce type est de plus en plus maigre, de plus en plus incohérent, il mélange son enfance avec le présent, sa vie avec celle des autres, et je m'attends constamment à ce qu'il commence à délirer. SI le gars devient fou, à quoi nous servira-t-il, vous pouvez me le dire?
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Les hommes ne valent peut-être pas grand-chose mais si les femmes n'existaient qu'à partir de onze heures du soir, couchées bien peinardement au lit et en train de dormir, sans nous casser les pieds avec leur sollicitude, leur tendresse, leurs exagérations et leur rouge à lèvres, je vous jure que la vie serait plus facile.
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Vidéo de Antonio Lobo Antunes
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Et si pour comprendre les racines de la violence, on écoutait ceux qui traquent la violence et ceux qui s'y adonnent ? Quitte à plonger au coeur du mal…
« Mon nom est légion » d'Antonio Lobo Antunes, c'est à lire en poche chez Points.
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