Lisière fut un véritable coup de coeur l'an passé!
Kapka Kassabova, écrivaine bulgare emmenait le lecteur dans les forêts sauvages de la zone frontalière entre Bulgarie, Turquie et Grèce, aux frontières de l'Europe, sur l'ancien Rideau de fer. Elle nous conduit sur les routes d'exils, à travers une histoire millénaire qui remontait aux Romains, aux Thraces. Rencontre avec des gens simples qui ont traversé des frontières pour garder leur identité, leur langue ou leur religion. Exils volontaires, échanges de population, ou réfugiés chassés.
L'écho du Lac décrit autre région balkanique : la Macédoine à cheval sur trois états actuels : Macédoine du Nord, Albanie et Grèce mais aussi revendiquée par la Bulgarie, la Yougoslavie hier et même l' Empire ottoman. Rien ne la symbolise mieux que cette salade macédoine, faite de divers morceaux mélangés. Diverses langues, Macédonien, Bulgare, Albanais ou Grec, Turc, musulmans ou orthodoxes, avec toutes les combinaisons possibles. Et tout cela sur un mouchoir de poche : sur les rives du Lac d'Ohrid entre deux petites villes Ohrid la macédonienne et Pogradec l'Albanaise, quelques villages, un monastère fameux, des grottes autrefois habitée par des ermites, des montagnes sauvages où vivent encore des ours et des loups...Non loin du Lac d'Ohrid, les Lacs Prespa sont également à cheval sur l'Albanie, la Macédoine du Nord et la Grèce. leur histoire est aussi dramatique et sanglante, Komitas et andartes mais aussi souvenirs des guerres civiles grecques. Exils et emprisonnements dans les camps albanais d'Enver Hoxa, ou sur les îles de Makronissos. Identités complexes façonnées par les exils jusqu'en Australie. Totale tragédie quand la Besa ( serment à la parole donnée et au Kanun albanais) façonne des vendettas qui courent sur des générations.
L'écho du Lac correspond à une démarche très personnelle : la mère, la grand-mère, les tantes et cousines de
Kapka Kassabova sont originaires d'Ohrid. C'est donc un retour aux sources de sa famille maternelle. Les titres des deux premiers chapitres Fille de Macédoine et A qui appartenez-vous? situent l'autrice dans la position de l'exilée qui rentre au pays et qui reconstitue l'histoire de sa famille sur des générations. Quand elle rencontre des personnes qui ne lui sont pas apparentées, elle est considérée comme une fille du pays. Rien à voir avec une aventurière ou une journaliste qui viendrait explorer un pays étranger. Il en résulte un accueil toujours bienveillant et confiant. de parfaits inconnus lui livrent des secrets de famille, racontent leurs exils, leurs retours impossibles, leurs enfants perdus de l'autre côté d'une frontière infranchissable. Et toutes ces histoires sont très touchantes.
Il n'est pas indifférent que ce livre soit écrit par une femme dans cette région où hommes et femmes voient leur rôle défini par une tradition patriarcale presque féodale. Il n'y a pas si longtemps au XXème siècle une fille n'avait pas le droit de passer deux fois dans la rue principale dans la même journée. Elle était assignée à un code de conduite très précis. de même, les femmes macédoniennes revêtaient très jeunes le noir du deuil pour ne pas le quitter, "veuves" d'un mari parfois vivant, exilé, emprisonné ou en fuite.
Il faudrait parler d'histoire, d'Alexandre à Ali Pacha de Janina, de guerres greco-bulgares, des divers communistes grecs (partisans souvent staliniens) de la Yougoslavie de Tito, des outrances d'Enver Hoxa et de la terreur qu'il inspira, de ce conflit identitaire pour le nom "Macédoine" ou pour le drapeau qui sépare les habitants du Lac Prespa par une frontière invisible... Evoquer le monastère Naoum et Clement, les fresques, les miracles....
J'ai enfin compris les mystères de Psarades, où nous avons passé quelques jours. Nous avions essayé de parler avec une vieille dame en Grec, elle ne nous comprenait pas, et la femme du restaurant ne savait pas déchiffrer le menu en Grec. Elle n'était pas illettrée, nous ne savions pas que le macédonien s'écrivait en cyrillique.
Nous avions aussi visité le Parc Drilon à Tushemisht en Albanie sans savoir que les sources étaient celle du fleuve Drin. Tant de choses que les touristes, même consciencieuses ne peuvent deviner!
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