On croirait dur comme fer, avec cette pièce de
Maxime Gorki, lire du
Tchékhov, tellement cela semble proche, tant dans la forme que dans le propos. Il faut dire que
Les Estivants a été écrite en 1904, la même année que l'une des pièces les plus fameuses de
Tchékhov (la dernière d'ailleurs),
La Cerisaie. Ajoutons à cela que les deux hommes se connaissaient, se fréquentaient et s'estimaient mutuellement, et l'on aura une partie de l'explication à cette forte similitude théâtrale.
Comme dans tout le théâtre de
Tchékhov, vous avez ici chez Gorki une association de couples ou de familles de la classe moyenne supérieure, voire, proche de l'aristocratie, à tout le moins, appartenant à intelligentzia russe d'avant révolution et qui se côtoient régulièrement depuis des années, se connaissant jusque dans leurs moindres travers.
Comme chez
Tchékhov, il règne dans ces dîners à la campagne une véritable ambiance de plomb. Tout le monde pense du mal de tout le monde mais le garde pour soi tant bien que mal en rongeant son frein jusqu'à l'étincelle — inéluctable — qui fera vider son sac à chacun et en mettre plein les dents à l'autre ou à tous les autres pour pas un rond.
Comme chez
Tchékhov, l'auteur fustige cette classe soi-disant éduquée, moderne, pensante, aisée et qui finalement n'use de ses atouts que pour se vautrer dans l'oisiveté, les plaisirs faciles, les beaux discours creux. Bref, la définition d'une classe sociale inutile et, à certains égards, parasite.
Gorki n'est pas tendre avec le milieu littéraire ou artistique, un peu comme
Tchékhov dans
La Mouette, où les êtres sont tellement narcissiques qu'ils en oublient d'être créatifs ou d'être les porte-voix véritables de leur époque. Des néants plastronnants et jet-seteux à la Beigbed... euh, non, non, non, je n'ai rien dit, effacez ça.
Gorki s'en prend aussi à l'hypocrisie généralisée qu'on rencontre dans ces manières de salons mondains de la petite bourgeoisie. Des parvenus, des cocons, — des chrysalides, tout au mieux —. Était-ce bien la peine de s'élever socialement, de s'extraire du Tiers-état, pour s'arrêter à cet échelon fade, creux, vide de signification et de réalisations concrètes ?
C'est la question que pose
Maxime Gorki, sans pour autant fustiger dans leur ensemble ces gens qui en ont bavé pour jouir d'une place au soleil et qui se fichent désormais que de gros nuages chapeautent la tête des autres.
C'est une préoccupation commune à beaucoup d'auteurs russes de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, qui percevaient la béance, le hiatus créé par l'abolition du servage en 1861 et la non redéfinition sociétale qui aurait dû s'ensuivre et qui aboutira, comme on sait, à la révolution que l'on sait en 1917.
En somme, une pièce intéressante sur le fond, assez agréable sur la forme et qui, comme
les Bas-Fonds, gagne sans doute énormément à être vue jouée sur scène qu'à être lue. (C'est un éternel débat en ce qui concerne le théâtre. Moi qui en lit tout de même beaucoup, c'est finalement assez rarement que j'éprouve le besoin de voir la pièce jouée. SI je le signale ici pour Gorki, c'est que cela m'apparaît plus flagrant ici qu'avec nombre d'autres auteurs ou d'autres pièces).
Mais de tout cela, vous autres qui n'êtes pas, loin s'en faut, des estivants, c'est à vous d'en décider avec vos propres sensibilités, car tout ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.