Antonia Scott, tome 1 : Reine rouge

À l’intérieur, il y a la photo d’un jeune garçon grand et mince, aux cheveux bouclés et aux yeux tristes. Il est à la plage, posant d’un air blasé, comme il se doit étant donné son âge et son milieu. Immortel, invulnérable, insouciant. Le portrait doit dater de l’été dernier, estime Jon. Bon Dieu, ce qu’il peut détester les photos d’avant. Il ne supporte pas d’associer l’être humain intact, inconscient du destin qui le guette, la gueule béante, à la dépouille qu’il laisse derrière lui.

Antonia Scott ne s'autorise à penser au suicide que trois minutes par jour. Pour la plupart des gens, trois minutes représenteraient une infime parcelle de temps. Mais pas pour Antonia. Les trois minutes durant lesquelles Antonia pensent aux diverses façons de se tuer sont ses minutes à elle. Pas question de l'en priver. De lui retirer. Elles sont sacrées.

— La police ne travaille pas comme ça. Nous ne sommes pas la police. La police est lente, sûre, prévisible. C’est un éléphant qui fonce tête baissée vers son but et écrase tout sur son passage. Nous sommes autre chose.

[...] — Combien tu as demandé à mon père ? Je suis sûre que…
— Carla Ortiz, la reine de la négociation. La princesse héritière. Cette fois, ce n’est pas une question d’argent.
— Alors qu’est-ce que tu lui as demandé ?

[...] — Il a exigé de moi quelque chose d’impossible. [...]
— Avec tout le respect que je vous dois, madame, que vous a-t-il demandé que vous n’ayez pu lui donner ?

[...] La personne qui a fait ça est extrêmement intelligente et va tuer à nouveau. Ceci n’est que le début.
— Nous avons affaire à un tueur en série ? demande le Dr Aguado.
— Non, répond Antonia. C’est autre chose. Un type d’animal différent. Je n’ai jamais rien vu de pareil.

[...] — J’imagine que vous avez remarqué qu’Antonia est spéciale.
— Spéciale ? C’est un euphémisme. Au premier abord, on croirait plutôt qu’elle est dingue ou idiote.
— Ce qui serait une lourde erreur. Antonia Scott est l’être le plus intelligent de la planète.
[...] Oui, Antonia Scott est insupportable, renfermée, autoritaire, imprévisible et vraisemblablement folle à lier, ou pas loin, en plus de manger n’importe quoi. Mais.
[...] Les yeux vitreux, la mâchoire tendue. Cette expression qui indique que son cerveau tourne à plus grande vitesse que la normale, qu’il est en surrégime.

Antonia réussit à l'interrompre.
- Qu'est-ce qui vous est revenu, Tomas ?
Le vigile s'éclaircit la voix.
- Eh bien, cette nuit-là, le chauffeur de taxi, c'était une femme.

Le type savait ce qu’il faisait quand il a décidé d’effacer ses traces. Son seul lien avec le monde des vivants était le compte bancaire où le montant de ses factures était encore prélevé, ce qui est habituel quand une personne décède. Si personne ne réclame cet argent ou ne prévient la banque que le titulaire est mort, les prélèvements continuent tant que le compte est provisionné.

Antonia respire profondément. L’effet de la gélule commence à se dissiper, le monde commence donc à reprendre de la vitesse, les émotions frappent à la porte. Elle serre le téléphone dans sa main droite, referme la gauche, se frappe la cuisse. Une fois, deux fois.