Antonia Scott, tome 1 : Reine rouge

Fausse blonde, grands yeux marron, pommettes saillantes. Plus proche de la trentaine que de la quarantaine. Une allure banale de jeune diplômée au début d’une belle carrière. Elle ne regarde pas l’objectif, et dans son sourire, on perçoit une légère timidité. Ainsi qu’une certaine chaleur humaine, encore plus discrète.

Les flics ont leurs petits trucs. L’un des plus utiles est de laisser les autres parler quand votre temps de sommeil moyen n’a pas dépassé trois heures quinze par nuit depuis quatre jours.

Alternative, conflit, hésitation, choix cornélien, cul-de-sac. L’avantage d’avoir un diplôme de lettres, c’est de connaître un tas de synonymes pour désigner une situation de merde.

Carla ressent une pointe de culpabilité de n’avoir pu rentrer à temps pour lui donner son bain et le coucher, mais elle se tranquillise aussitôt. En fin de compte, elle aussi a grandi avec des gouvernantes, sans tellement voir sa mère, et elle ne s’en porte pas plus mal.
Le travail avant tout, songe Carla, s’emmitouflant dans son foulard et fermant les yeux un instant, juste un instant, le temps de somnoler…

Antonia Scott est l’être humain le plus intelligent de la planète. Du moins à notre connaissance, précise Mentor par précaution. Si ça se trouve, il existe un gardien de chèvres au Bangladesh avec 243 de QI. Mais pour l’heure, l’être humain qui possède le quotient intellectuel le plus élevé actuellement enregistré est bien Antonia Scott. Elle pourrait travailler pour la Nasa, diriger le pays ou faire ce qui lui chante. Au lieu de ça, je l’ai convaincue de travailler pour moi.

— Tu sais combien c’est dur d’obtenir la même note, précisément, à tous les examens, du début à la fin de l’année ? Aux partiels, aux oraux, au contrôle continu ? En étant évalué par des professeurs et des examinateurs différents, chacun avec leur subjectivité ? Dans ces conditions, il est plus difficile de décrocher un six à chaque fois qu’une mention très bien.

Avec le temps, il a appris à lui trouver quelques qualités. Certains jours, l’idée de les étrangler, elle et la ribambelle – plus de sept cents – de tarés, petits génies et autres phénomènes de foire passés par l’institut ne lui effleure même plus l’esprit.

Les candidats devaient présenter un ensemble de caractéristiques très peu communes : relations sociales réduites, liberté de mouvement, capacités de pensée latérale exceptionnelles. Peu importait qu’ils soient grands ou petits, hommes ou femmes, gros ou minces. Nous n’étions pas à la recherche du prochain James Bond. Nous recherchions des cerveaux spéciaux. Avec une vision unique.

Au bout du compte, ce sont les criminels qui ont l’avantage, parce qu’ils agissent plus rapidement et passent entre les mailles du filet.

— Peur de quoi ?
— De tout. Des attentats quand j’étais ado. De me faire planter à la sortie de l’école. Des accidents, du sida, de n’importe quoi. Être flic, ça aide. Être au contact de tout ça, voir les malheurs des autres. Ça vous forge une carapace. Comme si ça ne vous concernait pas.
— Un mal nécessaire pour éviter un mal plus grand, dit Mentor.