Antonia Scott, tome 1 : Reine rouge

Elle a une peur viscérale des aiguilles. La douleur sous toutes ses formes la terrifie, mais sur son podium personnel de l’horreur, les seringues remportent l’or haut la main.
On appelle ça la trypanophobie. Pas que le nom change grand-chose.

La peau est le plus grand organe du corps humain, même si la plupart du temps, nous ne pensons pas à elle en ces termes, mais comme à une simple enveloppe protégeant nos organes vitaux. Deux mètres carrés couverts de terminaisons nerveuses. Des millions de récepteurs sensoriels, de la tête aux pieds.

Décidément, on trouve de tout sur le web. Non seulement n’importe quel taré a ton adresse et ton numéro à disposition, mais en prime, il peut s’acheter le matériel pour t’assassiner.

Quelle que soit l’erreur qu’elle a commise, la faute qui lui vaut ce châtiment, tout est fini. Le ciel brûle sans flammes, la lumière s’est effondrée et brisée. La musique, les caresses, la justice, le rire, tout a été dévoré, et il n’en reste que des cendres. De l’autre côté de cette plaque métallique, il n’y a rien. Le monde a disparu. Ailleurs, dans d’autres villes, d’autres pays, il n’y a plus de gens qui travaillent, qui jouent, qui mangent, qui rient et font l’amour.

Tu étudies la personne dont tu veux trouver le mot de passe et tu réfléchis aux mots clés les plus évidents qu’elle pourrait utiliser. Avant ou après, tu ajoutes son année de naissance, celle de son fils, de son père, l’année de son bac… Tu as les combinaisons de base. Quelques essais, et voilà.

Son père est un homme puissant, qui connaît des gens importants. En ce moment, sa disparition occupe sans doute tous les journaux de la planète et les réseaux sociaux. #OùEstCarla, ou peut-être #BringBackCarla. Toute l’Espagne retient son souffle, à l’affût de la moindre piste. Un pays entier aux côtés de l’armée que son père a déjà dû lever pour la retrouver.

Je suis Carla Ortiz ! Ça ne peut pas m’arriver !
Ouvre les yeux. C’est bien en train de t’arriver.
Ce n’est pas juste. Je suis une bonne mère, je m’occupe bien de mon fils. Je suis une bonne fille, une grande professionnelle. Je suis quelqu’un de bien. Depuis que je suis née, j’ai toujours fait de mon mieux, je me suis bien comportée avec les gens qui m’entourent. Ce n’est pas juste.
La vie n’est pas juste.
J’ai un tas de choses à faire. Je dois diriger une entreprise, je dois élever un enfant. J’ai toute la vie devant moi. Ce genre de choses arrive à… d’autres.

La partie la plus difficile, dans un enlèvement, est toujours la communication avec les familles. Les téléphones portables, les mails, tout peut être tracé. Mais il a suivi les étapes qu’on lui a indiquées avant d’appeler le père. Utiliser un serveur VPN anonyme qui masque son adresse avant de se connecter au web, déconnecter immédiatement l’ordinateur. Le reste de l’opération a été du gâteau.

L’homme abhorre la violence : ce n’est pas un comportement de bonne personne. Il déteste l’utiliser, et quand il s’y résout – quand il n’a pas d’autre choix – il fonce noircir une page de confession juste après. Il a voulu éviter la violence en cherchant une solution pacifique, et voilà le résultat. Il n’y a pas de bonne action sans châtiment.

J’ai fait des erreurs, comme tout le monde. Je ne suis pas parfait. Parfois, je me laisse entraîner par mes pulsions. Je commets des actes impurs, en pensée, presque toujours, quelquefois en vrai. Quand je ne peux pas me retenir, quand je n’ai pas le choix, parce que la chair est faible quels que soient nos efforts pour la contenir. Quand cela arrive, je me sens aussitôt sale et honteux, et il m’arrive de perdre les pédales. Je sens une tension dans mes mains, mon visage, et je dors mal. Je suis irritable.