Cette auteure néo-zélandaise a connu une véritable notoriété internationale grâce à l'adaptation qu'a faite
Jane Campion de son auto-biographie en trois volumes, Un ange à ma table. Dans visage noyés, un de ses premiers livres, paru pour la première fois en 1961, elle met, semble-t-il, beaucoup d'elle-même et de son expérience, dans le personnage principal, Istina Mavet.
Le livre évoque quasi exclusivement l'expérience d'internement psychiatrique d'Istina, expérience que
Janet Frame a vécue, pendant une durée proche de celui évoquée dans le roman. le récit est à la première personne, et assume son subjectivité : il ne s'agit pas de décrire avec précision et d'une manière rationnelle ce qui a amené Istina à l'hôpital, mettre un diagnostic sur ses souffrances, ni d'expliquer vraiment pourquoi à un moment on la laisse sortir, encore moins de revenir vers son enfance et y chercher d'éventuelles causes de son état. Il s'agit d'évoquer les ressentis, les sentiments et réactions, au plus près de ce que vit Istina, de décrire la réalité quotidienne de l'hôpital, centrée sur les petits détails, de voir par ses yeux, en même temps qu'elle découvre et réagit. Sa vision est forcément un peu limitée, comme le sont les mouvements des malades, et l'essentiel est sa souffrance. Souffrance psychique, se manifestant par des fortes angoisses irrationnelles, mais aussi souffrances provoquées par son hospitalisation, par les conditions de vie et les traitements, et aussi par le fait d'être exposée aux souffrances des autres patients, enfin surtout patientes.
Comme
Janet Frame elle-même Istina échappe de peu à une lobotomie, dont elle a vu les effets dévastateurs sur certaines autres patientes. Elle a subi un nombre important d'électrochocs, dont la perspective la terrorisait, une place importante dans le livre décrit l'angoisse profonde que ce traitement provoque chez elle. Elle décrit aussi l'abandon des patientes jugées les moins aptes à évoluer positivement, les plus folles des folles. Mais elle n'est pas manichéenne, elle dresse des tableaux de médecins qui ne sont pas des sadiques, ni des incompétents. Juste des êtres humains, débordés, avec au final des moyens limités pour aider efficacement les personnes qu'ils ont en charge, même s'ils ont le désir de le faire. C'est plutôt avec les infirmières, avec qui les malades passent beaucoup de temps que les choses sont plus compliquées. Mais elle suggère les raisons de certains comportements cruels. A l'époque métier peu reconnu, astreintes à toutes les tâches, seules avec les malades pour faire marcher toute la grande maison, elles sont débordées, et doivent se débrouiller seules. Elles n'ont sans doute pas non plus été réellement formées, autrement que sur le tas, à leurs activités auprès des malades mentaux. Et il y a la peur de la folie, la peur de ressembler, de se reconnaître, de finir un jour en tant que patiente. Reconnaître ces dernières comme des personnes à part entière, c'est réduire les distances entre le « normal » et le pathologique. le livre le suggère très finement.
Il y a aussi le tableau plein d'humanité de certaines patientes, surtout parmi les plus malades, à qui
Janet Frame donne en quelque sorte la parole qu'elles ne maîtrisent pas, dit à leur place, et porte un regard tendre et respectueux. Parce qu'au final, j'ai eu la sensation que c'est cela qu'elle demande le plus, le respect et la tendresse pour ces malades, ces êtres sans espoir, et qu'en ce qui la concerne, c'est leur insuffisance dont elle a le plus souffert.
Un livre magnifique, superbement écrit, sans doute douloureux, mais aussi très touchant et lumineux dans certains passages.