De l'autre côté de la frontière.
Encore un témoignage sur le génocide au Rwanda en 1994 ! Encore des massacres ! Encore les traumatismes des survivants ! On n'en finira donc jamais ? Telles pourraient être les réflexions qu'inspireront ce livre à un lecteur potentiel. Pourtant ce serait passer trop vite sur les qualités intrinsèques de cet ouvrage : il s'agit d'un véritable roman, fortement autobiographique certes mais qui puise sa force dans une solide structure littéraire. le narrateur, Gaby, un jeune garçon de 11 ans, nous fait vivre par ses yeux et par son esprit la façon dont il perçoit le monde. Globalement, le livre est construit autour de trois dialectiques en tension les unes par rapport aux autres.
D'une part, la dialectique de l'insouciance et de la dure réalité, marquée par la naïveté et la légèreté apparente du récit de l'intrigue caractérisée par un style fluide, poétique, recourant facilement à l'humour et au clin d'oeil. Gaby, pré adolescent, évolue dans un milieu aisé au Burundi, mais au fur et à mesure, ce monde protégé se fissure pour laisser apparaître la vie dans toute sa cruauté et sa rudesse impitoyable. Cependant, le ton du narrateur reste enjoué même si on ressent que l'esprit de l'enfant prend de la maturité.
D'autre part, la dialectique de la distance et de l'intimité qui place au début le monde des adultes loin des préoccupations de l'enfant. Il y a bien sûr des Tutsis et des Hutus, certains ne s'entendent pas bien, certains sont même en conflit, mais ça se passe au Rwanda, le pays voisin auquel le Burundi ressemble tant par ses origines ethniques et ses langues et avec lequel les Burundais entretiennent de multiples relations du fait de la porosité des frontières (si artificielles et pourtant si importantes dans les têtes). La mère du narrateur est d'ailleurs une Tutsie venant du Rwanda, terre que l'on aperçoit de l'autre côté du lac. Même si l'écriture maintient cette distance amusée entre ces deux pays, on sent bien qu'il n'existe pas de différence fondamentale entre Rwandais et Burundais.
Enfin, la dialectique de la survie et de l'effondrement qui repose sur ce style allègre, facilement humoristique, apparemment léger, qui cherche plutôt à masquer la réalité de l'horreur (toujours suggérée et maintenue à distance) qu'à faire preuve d'un voyeurisme aveuglant pour la sensibilité du lecteur. Cette façon de se réfugier dans la lecture et dans l'imaginaire face à des douleurs inexprimables traduit aussi une réaction face à la cruauté de la vie familiale et sociale, une réaction de survie, de dépassement de la brutalité des faits en manifestant un surcroît de volonté de s'en sortir et de rester debout.
Finalement, sans qu'on s'en aperçoive,
Petit Pays est un livre écrit au bord du gouffre mais sans aucune fascination pour le vide. Un premier roman remarquable et un auteur à suivre.
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