Rien de tel que les yeux, l'âme et le ressenti d'un enfant pour raconter une histoire avec des mots justes, sensés et cohérents.
C'est ce que fait Gabriel, dix ans, dans
Petit Pays. Sa main est habilement guidée par l'auteur
Gaël Faye : « L'enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais ». Cet ouvrage retrace avec une palette infinie d'émotions, de sentiments, de couleurs, de mots tour à tour poignants, sensibles, vifs, claquants ou d'une douceur envoûtante et confortable.
L'histoire d'un «
Petit pays » le Burundi, « Ce bout d'Afrique centrale brusquement malmené par
L Histoire » nous inonde d'une nostalgie bien connue de tous ceux qui ont vécu le bonheur d'un quotidien paisible et qui soudain, ont été engloutis dans une guerre éprouvante et sanglante.
le livre, histoire vivante, commence ainsi : « Je ne sais pas comment cette histoire a commencé. Papa nous avait pourtant tout expliqué, un jour, dans la camionnette. –Vous voyez, au Burundi c'est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça des ethnies. Les hutus sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez. »
Nous sommes en 1993. Gabriel, dix ans, né d'un père français et d'une mère rwandaise vit avec sa petite soeur Ana dans un confortable quartier d'expatriés du Burundi où il peut chaparder les mangues des jardins et se balader entre les bougainvilliers. La guerre civile se profile, ses parents se séparent. Tout ce qui faisait les petits bonheurs simples du quotidien, l'insouciance d'une enfance espiègle, protégée et sereine se fissure. La naïveté souveraine de l'enfance s'efface et c'est la peur au ventre, les yeux humides ou horrifiés que Gabriel tente coûte que coûte de se protéger de cette tragédie, de ce génocide.
Pour raconter la première partie du livre consacrée à ce quotidien « ordinaire » capable d'assurer aux enfants de l'impasse toute la joie qui leur est due, l'auteur utilise un ton léger, un ton qui s'agrippe à la douceur des collines, à la beauté des lacs, des fleurs, aux petits sentiers glaiseux longeant les forêts, aux cris des babouins résonnant dans les bois. Un ton léger qui colle parfaitement aux larcins de ces enfants agiles, assez malins pour contrer les adultes, assez espiègles pour renouveler leurs idées et assez vifs pour en apprécier les effets. L'auteur écrit mais c'est l'enfant qui parle. L'enfant qui raconte avec ses mots à lui, des mots plein de poésie, le cadre enchanteur et coloré qui l'entoure, l'emploi du temps dont chaque détail se révèle de la plus grande importance. Nous sommes invités dans un univers où chaque personnage est irremplaçable et donne la respiration et un rythme bienfaisant au roman qui devient volupté.
La seconde partie c'est tout autre chose. L'horizon s'obscurcit. Les mots claquent à la porte de l'imaginaire et l'oblige à s'effondrer. La guerre avec sa succession d'horreurs. «…..Pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J'ai découvert l'antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou d'un autre. »
Ainsi l'enfant nous invite à prendre conscience d'une scission irrévocable. Il dit d'ailleurs : « La mort nous encercle » « avec le temps, j'avais appris à reconnaître leurs notes sur la portée musicale de la guerre qui nous entourait. Certains soirs le bruit des armes se confondait avec le chant des oiseaux. »
Finis l'insouciance, l'enfance qui protège de toute responsabilité, de toute rigueur. L'enfance n'existe plus. « le génocide est une marée noire, ceux qui ne s'y sont pas noyés sont mazoutés à vie »dit-il. Seuls subsistent de nombreux et précieux souvenirs qui tout d'un coup ont une valeur décuplée. le ton monte avec les horreurs. le sang coule et nous lecteurs nous constatons hébétés.
Et puis dans le village il y a Madame Economopoulos qui prête des livres à Gabriel. Des livres qui vont avoir une importance essentielle dans sa vie, dans sa manière de la comprendre, de la gérer, de l'espérer….
.
"La vie n'est que le brouillon du roman » écrit
Patrick Varetz. Avec «
Petit Pays » il semble que nous soyons dans ce cas-là !
J'ai écouté
Gaël Faye parler de ce récit et livrer quelques explications utiles et complémentaires. Loin de s'enfermer dans l'histoire de Gabriel qui ressemble étrangement à son vécu. Il disait à peu près ceci :
« Lors des attentats de
Charlie Hebdo, et du Bataclan je me suis dit que cette insécurité là, je la connaissais. J'avais une expérience de la guerre. Cette enfance accompagnée, cette envie de se protéger, d'être dans son confort. C' est un piège parce qu'elle endort et elle empêche d'écouter le monde autour de soi. C'est certainement facile mais cette violence qui est autour de nous est une violence qui nous concerne aussi quand elle nous revient en boomrang, on découvre que nous sommes liés aux autres………..Au Burundi, comme la violence n'était pas rentrée dans l'impasse, on avait l'impression qu'elle n'existait pas. Mais elle a toujours été là……. Avoir conscience du monde est indispensable pour se prémunir des moments où on se sent hagard. » puis revenant sur les attentats : « L'idée du livre est née comme ça. J'ai été touché par ces événements. le livre, cet endroit où l'on peut se reconstruire, où on peut rester humain, s'enfuir ou imaginer autre chose! J'ose espérer que le personnage principal pourra se servir du livre pour résister à sa condition. » puis un peu plus loin encore : « L'écriture m'a soigné. Je ne voulais pas associer le Burundi à la guerre uniquement. Il faut remettre du quotidien pour qu'il n'y ait pas que cette évocation de guerre. Maintenant les anciennes victimes et les anciens bourreaux cohabitent"
Gaël Faye termine cet entretien en rappelant s'il en était besoin:" Je crois qu'être éxilé une fois c'est être éxilé toujours. »
Petit pays un livre marqué par des accents brûlants de soleil et de vérité .