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André Markowicz (Traducteur)
EAN : 9782742727186
144 pages
Actes Sud (02/05/2000)
3.9/5   145 notes
Résumé :
Figurez-vous un mari dont la femme, une suicidée qui s’est jetée par la fenêtre il y a quelques heures, gît devant lui sur une table. Il est bouleversé et n’a pas encore eu le temps de rassembler ses pensées. Il marche de pièce en pièce et tente de donner un sens à ce qui vient de se produire."

Dostoïevski lui-même définit ainsi ce conte dont la violence imprécatoire est emblématique de son œuvre. Les interrogations et les tergiversations du mari, anc... >Voir plus
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"Quand on l'emportera, demain, sérieusement, que deviendrai-je ?"

Le "Journal d'un écrivain" de Dostoïevski (publié entre 1873 et 1881) contient - entre articles et essais sur divers thèmes - quelques nouvelles presque oubliées qui mériteraient d'être ressorties davantage à la lumière du jour.
Parmi elles "La Douce", histoire d'une centaine de pages, qui peut servir de lecture idéale pour une soirée où vous vous sentez inhabituellement heureux, guillerets et insouciants, tout en trouvant que cela dénature votre habituel pessimisme lucide. Rien de tel que quelques pages fiévreuses de FMD pour vous remettre les idées en place.

L'idée de la nouvelle est née le 3 octobre 1876. En lisant ce jour-là son journal, Dostoïevski tomba sur un fait divers hautement inspirant. L'article relatait le triste sort d'une jeune couturière Marie Borisov qui a mis fin à ses jours, prétendument à cause de son insoutenable situation financière. Mais davantage que par le côté social de l'affaire et par l'acte lui même, l'écrivain fut intrigué par un détail : la petite couturière s'est jetée d'une fenêtre en serrant dans sa main une sainte icône.
Dans son édifiante préface, FMD éclaire son lecteur sur sa démarche littéraire, en la comparant à celle de Victor Hugo dans "Le dernier jour d'un condamné" : le même saisi "sténographique" qui embarque le lecteur dans le flot des pensées du personnage : la technique du "courant de conscience" menée plus tard à la perfection par des auteurs comme Joyce, Proust ou Faulkner.
Ce qui ne veut pas dire que "La Douce" laisse stylistiquement à désirer, bien au contraire.

Que peut-il bien se passer dans la tête d'un homme vieillissant, dont la jeune épouse vient juste de se suicider ? le corps à peine refroidi allongé sur la table ne peut plus répondre à la question "à qui la faute ?", et les pensées et les souvenirs du héros sans nom se bousculent en cherchant la réponse.
Ce n'est peut-être pas un hasard que l'histoire commence dans le magasin d'un prêteur sur gages, un endroit où on peut échanger toute chose - de valeur, sans valeur, et aussi des choses dont la valeur est impossible à calculer - contre de l'argent.
C'est là que notre homme va rencontrer sa future femme : une jeune fille fauchée, mais fière et pétillante. Et suffisamment intéressante pour qu'il ne supporte pas l'idée qu'un autre la sorte de sa misère par un mariage ; il lui propose donc à son tour de l'épouser.
Un acte d'amour ou de miséricorde ? Ni l'un ni l'autre. Notre prêteur sur gages s'achète un incompréhensible objet, censé devenir plus tard une "épouse idéale".
Le chemin est long et difficile, comme on va l'apprendre dans ce long monologue confus et plein de contradictions, qui fait ressortir tant la rigidité de l'esprit que des sentiments sincères. Peut-on aimer quelqu'un en attendant qu'il se transforme à notre image ? La crainte initiale de sa femme (le titre original "Krotkaïa" ne signifie pas seulement "douce" ou "docile", mais aussi "apprivoisée") se transforme peu à peu en mépris, puis en désespoir, et malgré tous ses efforts pour se justifier, l'homme finira par être frappé par la limpide vérité : ce mariage était comme une partie d'échecs qu'il pensait avoir sous contrôle, avant qu'on lui balaye la reine de l'échiquier.

Je ne peux pas m'empêcher de voir cette nouvelle comme une antichambre vers le purgatoire mental que sont les "Karamazov". Elle donne pareillement la définition de l'homme dans tous ses états et toutes ses métamorphoses. Mais si dans "Les frères Karamazov" l'idée centrale est développée sur mille pages à l'aide d'une dizaine de caractères et d'autant d'histoires personnelles, le fardeau que Dostoïevski charge sur le dos de son frêle lecteur avec "La Douce" est presque tout aussi lourd.

"Нет, серьёзно, когда её завтра унесут, что ж я буду?"
4,5/5 pour cet exploit, et merci à la camarade Michka17 de m'avoir fait connaître cette nouvelle.
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Veillant sur le cadavre de son épouse qui vient de se suicider, le mari raconte l'histoire de leur rencontre. Prêteur sur gage, notre homme a l'habitude des gens qui viennent le voir avec beaucoup, énormément d'humilité et de déférence ; aussi, la jeune fille qui vient régulièrement lui apporter des objets la tête encore haute l'intrigue. Fort de sa position, il n'hésite d'ailleurs pas à punir ces accès de fierté en lui faisant sentir la différence de leur situation respective.

Quand il apprend que cette femme est sur le point d'être donnée en mariage à un marchand par la famille qui cherche à se débarrasser d'elle, il n'hésite pas une seconde et fait une proposition plus avantageuse pour remporter sa main.

Le voici aux anges, persuadé d'être honoré par une épouse reconnaissante d'avoir été tirée de la boue, et respecté par le voisinage pour avoir fait une aussi belle bonne action. Seulement voilà, on peut acheter un corps, mais pas un esprit ; tout ce que le nouveau marié récolte, c'est du mépris, qui se mue en haine au fil des discrètes piqûres de rappel sur la situation passée. S'ensuit alors une spirale infernale faite de menaces sourdes et de coups humiliants sur les points sensibles des deux époux.

Quinze jours après avoir refermé cette courte nouvelle, je reste surpris de la violence de mes propres sentiments envers cet homme, qui, sur le papier, ne semble pas particulièrement dangereux. Mais Dostoïevki a un don certain pour peindre ses personnages, et dans cette nouvelle, pour extraire toute la cruauté qui peuvent se cacher dans des remarques a priori anodines. Les dernières pages viennent adoucir un peu le portrait de l'époux, mais bien trop tard pour que je puisse changer d'opinion à son sujet.

En terminant ces 80 pages de pur plaisir littéraire, je me demande ce qui m'a pris de délaisser la littérature russe depuis aussi longtemps !
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La nouvelle date de 1876. Elle est parue à l'époque dans la revue "Le journal d'un écrivain" dont le rédacteur unique est Dostoïevski. Elle s'inspire d'un fait divers.
Le narrateur est un prêteur sur gage. Sa jeune femme vient de se suicider. Elle est étendue sur une table, ainsi que le veut la tradition orthodoxe. Dostoïevski nous indique lui-même avant le récit que le narrateur est en plein désarroi. Il passe d'une pièce à l'autre à la recherche d'une "élucidation". Il se met à parler tout seul, se remémore sa vie, leur rencontre, leur mariage, avec des à coups, d'une manière embrouillée.

C'est une nouvelle remarquable; une introspection, criante de vérité. Un récit où l' on ne s'ennuie pas. Il n'y a pas de pleurnicheries. Je trouve la nouvelle résolument intemporelle ( le suicide, l'incommunicabilité, la solitude des êtres) et plutôt féministe. On comprend les deux êtres mais on plaint cette douce jeune femme que son mari n'a pas su prendre dans ses bras.
Lu dans la traduction de Michel Tessier, 2017 ( blog Mediapart).
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Je suis (re)venu à la lecture de cette nouvelle suite au très beau billet de Suz, Bobby_The_Rasta_Lama. Merci à elle. C'est chouette, les découvertes et redécouvertes que l'on fait sur Babelio.

A nouveau quel texte impressionnant et terrible que celui-là formé d'un long monologue intérieur de cet homme plus tout jeune qui veille sa très jeune femme qui vient de se suicider en se jetant par la fenêtre avec une icône dans les mains.
Pourquoi s'est elle suicidée, et surtout, ce thème si dostoïevskien, quelle culpabilité chacun des partenaires porte?

Cette introspection lancinante, cette quête de la vérité, nous lectrices et lecteurs qui y assistons, nous propose tant de pistes différentes:
- l'erreur de cet homme d'argent, prêteur sur gages sans envergure, de prendre son épouse comme s'il faisait une acquisition, mais dont l'épouse découvre la petitesse et la lâcheté;
- l'insoutenable situation de deux êtres que tout oppose, un homme médiocre, tourmenté, complexe pour ne pas dire compliqué, soupçonneux, totalement incapable de déchiffrer son épouse, une femme simple, sans compromis, qui comprend l'impasse de leur relation et n'en trouve d'autre issue que la mort;
- l'incapacité d'accepter l'autre comme un être différent et non comme un objet;
- l'image illusoire que l'on se fait de l'autre qui génère la souffrance, la méprise qui conduit au mépris;
- l'incommunicabilité entre les êtres, lui qui finit par vouloir à nouveau posséder cette femme malgré le mépris qu'elle lui a voué, elle qui sans doute s'accommodait de cette vie de « paix séparée » sous le même toit, et qui, terrifiée, comprend que ce ne sera plus possible;
Etc…

Et c'est une fois de plus que je redécouvre cette peinture si forte, cette manière de raconter exceptionnelle comme si nous vivions en direct « la tempête sous un crâne ».
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Un mari, plus très jeune , est devant le cadavre de sa jeune femme qui vient de se suicider
Que va-t-il faire? Qui est responsable? Quelles erreurs ont été commises ? Pourquoi n' a-t-il rien vu venir?
C ‘est un homme hébété, rempli de doutes , de culpabilité qui est devant nous
Introspection et désespoir
Ce court livre de 100 pages se lit en une soirée
Ce qui fascine c'est son intemporalité , la finesse de l'analyse psychologique
On retrouve le Dostoievski des grandes oeuvres
D'ailleurs, pour Dostoievski lui même , il s'agit bien d'un texte préparatoire
Certes, il ne s'agit pas d'une oeuvre majeure mais ce petit opuscule permet de remettre les pendules à l'heure par rapport à certains textes contemporains
Nous sommes une catégorie au dessus
Une longue nouvelle à apprécier un jour où vous êtes plutôt en forme
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
En l’amenant dans ma maison, je voulais arriver à conquérir son entière estime, je voulais la voir s’incliner devant moi et me plaindre de mes souffrances. Je pensais que je valais cela. Ah ! Toujours mon orgueil ; toujours il me fallait tout ou rien, et c’est parce que je ne suis pas un admetteur de demi-bonheurs, c’est parce que je voulais tout, que j’ai été forcé d’agir ainsi. Je me disais ; « mais devine-moi donc et estime-moi ! » Car vous admettez que si je lui avais fourni des explications, si je les lui avais soufflées, si j’avais pris des détours, si je lui avais réclamé son estime, ç’aurait été comme lui demander l’aumône… Du reste… du reste, pourquoi revenir sur ces choses-là ?
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- Moi qui croyais que vous alliez me laisser comme ça... Soudain, cette phrase lui était sortie de la bouche, sans qu'elle le veuille, tellement sans qu'elle le veuille, peut-être, qu'elle n'a même pas remarqué ce qu'elle venait de dire, et, néanmoins, c'était le plus essentiel, sa parole la plus fatale, celle que je pouvais le mieux comprendre ce soir-là, et c'était comme un coup de couteau tout le long du cœur !
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Routine ! Oh, la nature ! Les hommes, sur la terre, ils sont seuls - voilà le malheur ! "Est-il homme qui vive en cette plaine ?" crie le preux russe de nos légendes. Je crie aussi, et je ne suis pas un preux, et personne ne répond. On dit que le soleil ranime l'univers. Le soleil se lèvera et - regardez-le, il n'est pas un cadavre ? Tout est mort - des cadavres partout. Rien que les hommes, autour d'eux, le silence - voilà la terre ! "Hommes, aimez-vous les uns les autres" - qui a dit ça ? de qui est-ce que c'est la parole ? Le balancier qui bat, insensible, détestable. La nuit. Deux heures. Ses petits souliers, là, devant son lit, on dirait qu'ils l'attendent... Non, sérieusement, quand ils l'emporteront, demain, qu'est-ce que je serai ?
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Pourquoi, dès le début avons-nous adopté le silence ? Il n'y avait pourtant pas de disputes au début ; mais, toujours ce silence... Je me souviens qu'elle avait constamment une certaine façon de me regarder en dessous ; lorsque je m'en aperçus, je renforçais encore le silence. C'est moi, il est vrai, et non pas elle, qui insistais sur ce silence.
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Car pourquoi est-elle morte?
La question est toujours là.
La question me vrille.
Elle me vrille le cerveau.
Je l'aurais bien laissée comme ça.
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Quel est le plus impressionnant des romans russes ? Un roman-fleuve, une dinguerie sublime qui met en scène quatre frères qui sont surtout quatre fils, autour d'un père détesté et détestable ?
« Les frères Karamazov » , de Dostoïevski, c'est à lire en poche chez Actes Sud Babel.
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