V.S. Pritchett définissait la nouvelle comme " une chose fugace qu'on entrevoit en passant, du coin de l’œil", il y a d'abord cette vision fugace. Ensuite, la vision fugace s'anime, se mue en quelque chose qui va illuminer l'instant et va peut-être laisser une empreinte indélébile dans l'esprit du lecteur, qui l'intégrera à son expérience personnelle de la vie, pour reprendre la belle formule de Hemingway. Pour de bon. Et à jamais. C'est là tout l'espoir de l'écrivain.
" Ray allait devenir l’un des nouvellistes les plus célèbres du monde, mais il resta lui-même « vierge » de son propre avenir jusqu’à ce qu’il eût atteint la quarantaine bien sonnée. Au bout de vingt ans d’écriture, il a joui pendant cinq courtes années d’une renommée grandissante, avant de mourir brutalement d’un cancer du poumon à l’âge de cinquante ans ".
Tess Gallagher, sa compagne
Mon premier recueil, " Tais-toi, je t’en prie ", n’a paru qu’en 1976, treize ans après en avoir écrit la première nouvelle. Ce délai considérable entre la composition de mes nouvelles, leur parution en revue et leur publication en volume tenait à toute une variété de raisons : je m’étais marié jeune, l’éducation de mes enfants et mes emplois de travailleur manuel m’imposaient de graves contraintes, il avait bien fallu que je me dote de rudiments d’éducation, et les fins de mois étaient toujours difficiles. (C’est au cours de ces longues et pénibles années que j’ai appris mon métier d’écrivain, et ce ne fut pas sans mal : j’étais censé me rendre aussi subtil qu’un courant qui passe dans une rivière alors même que tout le reste de ma vie était totalement dénué de subtilité.
Il m’a fallu treize ans pour réunir la substance d’un volume et pour trouver un éditeur qui, soit dit en passant, n’était guère enthousiaste à l’idée de s’embarquer dans une entreprise aussi hasardeuse – le premier recueil de nouvelles d’un inconnu ! A partir de là, j’ai pris le pli d’écrire à toute vitesse, dès que je disposais d’un peu de temps, d’écrire des nouvelles chaque fois que l’inspiration me prenait, de les laisser s’empiler dans un tiroir, et de revenir dessus par la suite pour les relire, calmement, avec détachement, quand l’exaltation m’avait quitté, quand les choses avaient repris –hélas !- leur cours " normal ".
J’ai vécu deux vie. La première s’est achevée en juin 1977, quand j’ai renoncé à la boisson. A ce moment-là, je n’avais guère d’amis. J’avais bien quelques vagues copains, et des compagnons de beuverie. Mais d’amis, point. Mes amis, je les avais perdus. Certains s’étaient éloignés de moi progressivement, et on ne pouvait pas les en blâmer, bien sûr. D’autres s’étaient volatilisés, tout simplement, et le pire c’est que je ne m’étais même pas aperçu de leur absence, qu’ils ne m’avaient jamais manqué.
Il avait le sentiment qu'en voyant l'expression de son visage elle allait apprendre sur son compte des choses que lui-même ignorait encore. La tête lui tournait, mais il avait tous ses sens en alerte. Il sentait l'odeur de l'orange qu'elle avait pelée tout à l'heure, percevait le bourdonnement d'une mouche qui cessa subitement lorsqu'elle entra en collision avec la fenêtre au-dessus du lit.
(Extraits des cahiers d'Augustine)
Découvrez l'émission intégrale ici : https://www.web-tv-culture.com/emission/fanny-wallendorf-jusqu-au-prodige-53573.html
Du plus loin qu'elle s'en souvienne, Fanny Wallendorf a toujours eu le goût de l'écriture. Dès 7 ans, elle garde en mémoire les courts textes qu'elle produisait. Mais c'est bien par la lecture qu'elle prend le chemin de ce qui fera d'elle une romancière. Fascinée par l'écriture et le personnage du poète et écrivain américian Neal Cassady, compagnon de route de Jack Kerouac, elle traduit ses correspondances et frappe à la porte des éditions Finitude qui s'enthousiasment pour son projet. Nous sommes en 2014. Dès lors, Fanny Wallendord traduit pour cette maison plusieurs textes de Raymond Carver et Phillip Quinn Morris.
Mais Fanny Wallendorf n'oublie pas la gamine qu'elle a été et les propres histoires qu'elle a envie de raconter.
Elle concrétise son rêve en 2019 avec « L'appel » puis en 2021 avec « Les grands chevaux » qui révèlent une écriture sensible, poétique mais rigoureuse et exigeante.
Janvier 2023, voilà le 3ème titre de Fanny Wallendorf, « Jusqu'au prodige ». Nous sommes dans les années 40, la guerre n'est pas finie mais la Résistance est en marche.
Thérèse a dû fuir, la mère est morte, le père est au combat, son frère, Jean, a été d'elle.
La jeune Thérèse devait trouver refuge dans une ferme du Vercors mais la femme qui devait l'accueillir étant morte, c'est le fils de la ferme qui l'a reçue et en a fait son objet, l'a enfermée. Il est le chasseur. Quatre ans plus tard, au hasard d'une inattention de son geôlier, la jeune fille parvient à s'échapper. Mais là voilà seule dans l'immensité de la forêt, sans savoir où aller, cherchant à échapper aux menaces réelles ou fantasmées. Seule le souvenir de ses proches permet à Thérèse de garder l'espoir et d'envisager un avenir en retrouvant son frère Jean. Trois jours, trois nuits dans cette forêt. le doute, la peur, l'incertitude, le désespoir… jusqu'au prodige.
Le texte est écrit à la première personne du singulier, c'est bien Thérèse qui nous parle et nous entraine dans cette aventure, ce chemin parsemé de ronces qui mène vers l'âge adulte.
Le roman de Fanny Wallendorf est une réussite tant par l'originalité du sujet, la construction de l'histoire et la qualité de l'écriture, belle et sensible, presqu'onirique, qui rappelle que le moindre soupçon d'espoir peut aider à se relever de toutes les épreuves.
« Jusqu'au prodige » de Fanny Wallendorf est publié aux éditions Finitude.
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