Quel curieux roman que cette oeuvre de
Russel Banks ! où l'auteur-narrateur tout au long de cette étrange narration s'interroge sur la personnalité de son héros, comme si ce dernier lui échappait pour mener une existence propre !
"Si vous devez, comme je le dois, concevoir votre vie comme un roman et les créatures qui en font partie comme "des personnages", alors, à moins que vous ne sachiez vous retenir de tomber amoureux de l'une de ces créatures, il vous faudra abandonner l'idée du contrôle. Il vous faudra devenir non un auteur inspiré, mais un auteur qui n'est tout simplement plus maître de son propre roman. "
Alors qui donc est
Hamilton Stark ?
Cet individu, macho, colérique, gros buveur, peu sociable, ignorant ses voisins, déclenche assez vite l'antipathie du lecteur !
Est-ce un fou furieux, un dangereux forcené ? En tout cas, c'est ainsi que le voient les habitants de ce village perdu au fin fond du New Hampshire, un territoire qui fut jadis dérobé aux indiens abenakis.
Peu sympathique à première vue, il nous est présenté
par l'auteur narrateur qui en donne sa propre perception en faisant de lui un être parfaitement libre et refusant de se soumettre aux us et coutumes habituels, et refusant surtout de subir l'emprise que les femmes pourraient vouloir prendre sur lui,
par sa fille Rochelle, cette dernière écrivant un roman sur son père et nous donnant de lui une vision tempérée par la tendresse éprouvée pour cet homme qui l'a pourtant abandonnée dès sa naissance,
puis par chacune de ses cinq femmes, avec qui il se comporte pour le moins avec désinvolture. "Je ne peux pas te dire que je t'aime, parce que je ne sais pas ce que ce mot veut dire. Je veux dire le mot "je", pas "aimer" ni "te"
L'auteur narrateur s'interroge également sur sa relation particulière avec son héros allant jusqu'à se demander s'il n'en vient pas à le présenter faussement en n'abordant pas correctement le problème de ses relations avec sa mère ! ce qu'il va ensuite faire longuement !
Curieux roman, où l'auteur s'inquiète de sa créature, tel le savant face à Frankenstein,
Curieux roman, où la psyché humaine prime sur les éventuels développements romanesques,
Curieux roman donc, où le propos principal est le rapport que l'auteur entretient avec son héros, ce dernier paraissant échapper à son créateur
Curieux roman, enfin, parfaitement déstabilisant pour le lecteur, tour à tour passionné, puis lassé par les digressions et tergiversations de
Russel Banks.