à N.V. Nedobrovo
Il est autour des êtres une ligne secrète,
Epris ou passioné, on ne la franchit pas,
Les lèvres ont beau s'unir dans un silence terrible,
Et l'amour déchirer le coeur.
L'amitié même sans pouvoir, ici, et les années
De grand, d'ardent bonheur,
Quand l'âme est libre, indifférente
Au lent abandon de la volupté.
Fous ceux qui cherchent à l'atteindre, et ceux
Qui l'ont touché, la ostalgie les frappe...
Tu comprends maintenant pourquoi
Mon coeur ne bat plus sous ta main.
2 mai 1915
à B.Anrep
Comme une pierre blanche au fond d'un puits
Sommeille en moi un souvenir.
Je ne peux, je ne veux pas lutter :
Il est fête, il est douleur.
Qui plongea dans mes yeux
Aussitôt le verra, je crois,
Et deviendra plus sombre, plus songeur
Que s'il écoute une histoire triste.
Je sais que les dieux ont changé
Des hommes en choses sans tuer leur conscience,
Pour que vivent à jamais de merveilleux chagrins.
Ta métamorphose dans ma mémoire !
5 juin 1916
Neige de mai
Une couche transparente se pose
Sur l'herbe neuve, et fond.
Cruel printemps de glace,
Toi qui tues les bourgeons pleins de sève.
Si atroce, la vue de la mort jeune,
Je n'arrive plus à regarder le monde.
J'ai en moi la tristesse du roi David
En un geste royal offrit aux millénaires.
18 mai 1916
Avec Laurent Coq (piano) & Guilhem Flouzat (batterie)
« Si ses poèmes sont des poèmes d'amour, la tragédie collective qu'Anna Akhmatova traverse avec son peuple est le fil rouge de son oeuvre. Une tragédie qu'elle prophétise et traduit tout au long de sa vie… Ses chants d'amour et de désespoir forment la plus pudique et la plus déchirante des autobiographies. »
Geneviève Brisac consacre un magnifique portrait à cette immense poétesse russe qu'était Anna Akhmatova. C'est en soeur et en poétesse d'aujourd'hui qu'elle nous fait redécouvrir la lucidité et le courage d'une femme que le régime communiste a voulu réduire au silence.
À lire – Geneviève Brisac, Anna Akhmatova, portrait, Seghers, 2024. En partenariat avec France Culture
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