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Citations de Roland Dorgelès (179)


Il trouvait normal de vivre dans un pauvre logement de la rue Visconti. Sans doute cela manquait de confort, mais un verre ou deux de vin rouge, du beaujolais de préférence, le consolaient à l'instant. Il s'était fait ainsi une réputation de biberonneur dont il tirait gloire. Un matin, un poète bouquinant du Divan, librairie fameuse de Saint-Germain-des-Prés, le surprit emplissant un gobelet à la fontaine Wallace. Le rencontrant le soir, il le railla :
— Je vous ai pris sur le fait, imposteur ! Vous buviez de l’eau !
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Quand il ne rimait pas il s’endormait, la conscience en repos. Un après-midi le nouveau préfet, poète amateur, parcourant les services, remarqua son absence. On lui apprit avec des ménagements, que l'homme du Moyen Age, ayant largement arrosé son repas, devait somnoler sur son rond-de-cuir. « Laissez-le dormir, fit le bon préfet. Il ne faut jamais empêcher les poètes de rêver… » Fonctionnaire et bohème, bon époux et bambocheur, assidu aux offices et pilier de café, Fagus s'accommodait de toutes les contradictions. Conscient de la place effacée qu’il occupait dans les Lettres, il s’empressait d’en rire.
— Je suis de ceux qui ne se sont pas réalisés, répondait-il à un enquêteur.
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Il venait alors de sortir de la guerre qu’il avait faite, disait-il, « dans les coulisses de l’Épopée », maniant la pelle et la pioche plus que le fusil. Entre deux corvées de gabionnage, voire deux bombardements, il retouchait sa Danse macabre et commençait à tresser la Guirlande de l’épousée. Pourquoi se serait-il alarmé ? « La guerre fait considérer toutes choses en fonction de l’Éternité, ce qui convient particulièrement à la poésie », écrivait-il philosophiquement.
Démobilisé, il avait repris sans déplaisir — maintenant à l'Hôtel de Ville — ses modestes fonctions d'expéditionnaire. Il jouissait d'assez de loisirs et disposait d’assez de papier pour achever tranquillement son Frère Tranquille :

Grands frères qui dormez sous la haute liane,
Conquérants, voyageurs, ou saints des missions
Ou forçats qui semez les sables des Guyanes,
Décapités cherchant vos têtes à tâtons.
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Ne croit-on pas reconnaître la voix douloureuse de Villon évoquant les dames du temps jadis ? Ses lettres — il en écrivait tant et plus — prenaient naturellement un ton de ballade, il s'ingéniait même à rédiger les suscriptions en vers. Les dédicaces de ses livres, il ne les concevait que rimées et quand il publia sa juteuse transcription de la Chanson de Roland, où il rendait le rude accent de l'œuvre originale, j'eus droit, moi aussi, à un quatrain :

« Nous avons tous au pays une payse »,
A Madelon la belle Aude a dit antan
Et qu'elle soit paysanne ou soit marquise
Chacun pour elle a le cœur d’un Roland.
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Puis, soudain, tombant en extase :

Vierge, Mère de Dieu, sauvez-moi du démon !

Pour lui, tout devenait poésie. Ses amours, ses angoisses, ses plaisirs. Jusqu'à ses opinions politiques :

O Marie-Antoinette, reine entre les reines,
O martyre au cou blanc, qu’êtes-vous devenue ?
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Sujet de Philippe Auguste, contemporain des cathédrales, voilà ce qu’il était. Notre siècle de progrès lui faisait horreur, et même les précédents. « La Réforme a gangrené la France, la Renaissance l’a enlaidie, posait-il en principe. Depuis Bouvines, tout a dégénéré. » Ce n'est pas assez dire qu'il méprisait la République : il l'abhorrait. Aussi, comme fonctionnaire, la servait-il le moins possible. Dans son bureau du deuxième arrondissement, service de l'état civil, il passait le plus clair de son temps à écrire des vers au dos des avis de décès. Peut-être ce papier mortuaire l’a-t-il aidé à composer cette admirable Danse macabre, brûlante de luxure et embrasée de foi, qui allait l'élever au rang des grands poètes chrétiens. Pourtant si on lui donnait ce titre, il protestait :
— Je ne suis pas poète, tout bonnement un jongleur.
Peut-être, mais pareil à ceux qui chantaient de ville en ville et de château en château. Ses strophes affranchies passaient en gambadant de la priapée au cantique :

Et ma raison hennit après la bacchanale,
Le désir m'écartèle et danse dans mon sang.
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Bateleur ou petit clerc de la basoche, voilà à quoi il faisait penser. Il signait volontiers ses lettres : « Homme du Moyen Age. » Ces mots résumaient sa vie et son œuvre. Visiblement il s’était trompé de siècle. Un jour de grand vent je l’ai rencontré sur le Pont-au-Double, sa cape battant des ailes ; je me suis demandé si la bourrasque ne l’avait pas arraché au portail de Notre-Dame.
— Je vous vois très bien siégeant parmi les prophètes, les mages et les bergers, ai-je blagué.
— C’est vrai, m’a-t-il répondu en riant. Au milieu d’eux, je me sentirais à l’aise.
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Il en est un surtout dont l’apparition me met en joie. Coiffé d’un drôle de chapeau tromblon et une pèlerine à capuchon sur les épaules, Fagus avait l’air de sortir de la foire du Landit ou du Petit-Châtelet plutôt que de la mairie où il noircissait du papier.
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Le groupe immobile des soldats faisait dans l’ombre comme une vigne noire, avec tous les fusils dressés. Seul un point rouge de cigarette piquait la nuit. On le voyait monter aux lèvres, se raviver, puis redescendre lentement.
-Et ! l’autre salaud qui va nous faire repérer, grogna quelqu’un… ça ferait tuer les copains pour une cibiche, ces enfifrés-là.
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Puis, les maisons ouvrirent les yeux, les chemins s’animèrent, et retrouvant de la voix pour hurler des galanteries, ils jetèrent leurs fleurs fanées aux femmes qui attendaient, sur le môle des gares, le retour improbable de leurs maris partis.
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Comme la guerre sera jolie, racontée dans cent ans !
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N’est-ce pas atroce de penser, devant ce jeune mort étend, que la guerre terminée, des milliers de sacrifices pareils tomberont dans l’oubli et que rien, jamais rien, ne paiera les héros : pas même un souvenir.
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Les hommes ont cela dans la peau, c’est leur bêtise, leur cruauté qui ressort, et lorsqu’ils se tiennent tranquilles, c’est simplement que la peur parle plus fort que leur instinct. Le malheur, c’est qu’avec la méchanceté, Dieu leur ait donné l’intelligence, sans cela on se battrait encore à coups de trique, et cela vaudrait tout de même mieux…
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En voyant changer les hommes de son âge on comprend mieux combien on a changé soi-même. Notre coeur est si distrait qu'il ne nous avrtit pas. Montmartre ? Mes vingt ans ? Mais c'était hier...Hier, nous faisions encore des culbutes dans le parc de "La Belle Gabrielle", Florot, pour nous recevoir, traînait ses fauteils au milieu de la rue d'Orchampt qui lui servait de salon, Poulbot nous invitait à son mariage annuel.
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Comme on ne songe heureusement pas à lancer des colonnes, avec avions et chars d'assaut, pour civiliser ces barbares à coups de bombe, on devra laisser partir d'autres Odend'hal, d'autres Peyroux, d'autres Maître, qui s'en iront, comme ceux-là, avec leur mire et leur niveau, leurs boîtes d'ampoules et leurs comprimés pour jouer leur chance dans la brousse. S'ils ne reviennent pas, deux lignes dans le journal. S'ils reviennent, peut-être un bout de ruban. Mais quelques centimètres de plus sur la carte du monde. La vie de ces pionniers, qui la connaît ? Leur sacrifice, qui s'en soucie ? (p. 67)
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On le sait, l'amour rend aveugle. L'homme se trompe dès qu'il parle de ce qu'il aime, et rien ne rend plus injuste qu'une grande passion. Or, j'ai été pris d'une telle pitié pour cette pauvre race moï, qu'il a du m'arriver, et qu'il m'arrive encore, en parlant des tribus des Terres Rouges, de perdre toute mesure et de rendre le monde entier responsable du triste sort de ces peuplades. (p. 41)
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Leurs jupes, surtout, nous faisaient envie, abondantes,gonflées aux reins comme des sacs de grains, et l’on regardait goulûment leurs lèvres, ouvertes sur un sourire où il manquait des dents. Ces grosses filles,nées pour deux passades brutales de campagne et finir bonnes épouses dans les bras d’un charron, n’étaient pas du tout éblouies de se voir poursuivies par ces centaines d’hommes qui, civils, ne les auraient jamais regardées.
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La vérité, la triste vérité, c’est qu’il n’y avait pas d’amour, qu’il n’y avait pas de femmes au front, pas plus que de beurre à la cuisine roulante ou que de carpettes dans les gourbis. Parfois, sans doute –oh ! bien rarement – on entrevoyait une femme, une vraie femme, qui emportait dans le vent parfumé de sa jupe tous les désirs d’un bataillon.
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Mais je ne vous en veux pas, petite réfugiée. Ce que nous allions chercher chez vous, ce n’était pas des lunettes, pas de l’amour non plus, car vous étiez honnête. C’est un rien qu’on ne vend pas, une illusion…
C’était la joie fabuleuse, au sortir des tranchées, la capote brossée et les mains nettes, d’échapper un instant à cette vie brutale et de parler, de vivre un peu comme autrefois, d’oublier les obus, la boue, le riz froid, la vermine,les rats, tout ce morne tourment…
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On s’entretient de la mort avec la tranquille indifférence des fossoyeurs : elle a, d’un coup, perdu tout son prestige…
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C’est étonnant ce qu’il faut faire de démarches pour avoir le droit d’aller se faire casser la gueule
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les souvenirs de Dorgelès sur Montmartre et la grande époque du bateau lavoir sont savoureux.
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