Citations de Jocelyne Saucier (295)
Il y a des moments où on voudrait se retirer de la vie et ,pendant qu’on y est pas, aller effacer la mémoire du temps. Je voudrais que ce moment n’eût jamais existé.
(BQ, p. 55)
Mourir à quatre-vingt quatorze ans, ce n'était quand même pas si mal. Ted n'avait peut-être pas été le plus heureux des hommes, mais il avait tenu le coup et il était mort libre, avec dignité, même pas eu besoin de se faire aider, et à son heure. Charlie respectait cette façon de faire. quitter sans obliger personne à des adieux, c'est une marque de respect pour ceux qu'on laisse derrière soi. Des adieux , ça ne fait de bien à personne. (p.161)
J’ai dix-sept ans sur cette photo et je crois qu’un jour je serai quelqu’un d’autre, mais je sais qu’il n’en sera rien. Je serai toujours aux prises avec cette exigence qui me porte à vouloir élever un être supérieur sur les gravats de ma personne. (p.11)
Mon père avait des mains fines et nerveuses, très grandes cependant, des mains qui s'agitaient comme des drapeaux au vent et qui mouraient tout doucement quand s'apaisait le frémissement de la parole. Ce n'étaient pas des mains qu'il pouvait présenter à la guérite d'une mine.
On le lui avait dit sur la route. Ce n'est pas avec ces mains-là que tu vas trouver du travail. Et on exhibait de larges mains torturées auxquelles il manquait parfois un doigt ou deux.
Ce sont pourtant ces mains-là qui lui ont valu son emploi au Rouyn-Noranda Press. Ses deux longues mains qui feuilletaient Le Devoir dans une cambuse où l'on servait des spaghettis. A la table voisine, un homme observait les mains voleter d'une page à l'autre, impressionné par leur familiarité avec le papier, leur légèreté, leur dextérité et, surtout, leur contentement quand, après s'être rejointes pour fermer une page, elles s'ouvraient devant un monde nouveau à contempler. Si ce jeune homme parle un anglais correct, je l'engage, s'était dit l'homme.
La vie a été bonne encore une fois pour mon père. D.A. Jones était le directeur du Rouyn-Noranda Press. p 29
Des cigarettes qu'on fume pour échapper à la réalité, pour voyager dans sa tête, comme ils disaient, sans valises et sans balises, elle ne comprenait pas que des personnes saines veuillent s'adonner à la folie.
Un chant s'éleva dans la nuit. Le vent était tombé, la forêt était noire et silencieuse, on n'entendait que le murmure des arbres. Le chant de Marie-Desneige s'éleva et la nuit porta sa prière dans l'immensité du ciel.
Les docteurs, c'est pas des magiciens, ils font des erreurs comme tout le monde.
Le bonheur a besoin simplement qu'on y consente.
L'amour impossible n'est plus possible de nos jours.
Une cabine d'habitation, on y vit, on y meurt, c'est là qu'on voit le soleil nous attendre les matins d'été, se coucher l'hiver, on y entend les bruits de la nuit, une cabane d'habitation nous accompagne tout au long de nos pensées, avec elle on n'est jamais seul. (p.99)
L'histoire est peu probable, mais puisqu'il y a eu des témoins, il ne faut pas refuser d'y croire. On se priverait de ces ailleurs improbables qui donnent asile à des êtres uniques.
La photo fera la première page de L'Étincelle ou de L'Étoile ou de L'Aurore, je ne me souviens plus, il y en a tellement eu de ces journaux que j'allais distribuer avec mon père. J'ai pris goût à la route. J'aime voir défiler les épinettes, les lacs, les rivières, et tout d'un coup, l'éblouissement du regard, une lumière dorée vient se glisser sur les eaux noires d'un lac, une maisonnette se dresse dans la brume du matin, puis une autre, un village entier se réveille, et je suis déjà loin, car il y a des villages que nous évitons. Les communistes ne sont pas bien vu partout.
(...) Mon père, au volant de cette guimbarde qui râle et qui tousse, et moi, à ses côtés , qui regarde défiler le paysage pendant qu'il me fait la conversation. Car il parle mon père, d'abondance et avec passion, de la révolution russe, de la révolution chinoise, de la révolution cubaine, de la révolution en marche en Amérique, malgré le maccarthysme, malgré la guerre froide, malgré tout ce qu'on pourra lui opposer, la révolution vaincra.
(...) et je suis toujours habitée par cette voix ronde et chaude qui m'a appris à espérer un monde meilleur. p12-13
La pauvreté, tu sais, est une grande liberté. Quand on n'a pas à se battre pour la richesse et le pouvoir, il nous reste l'essentiel et c'est bien assez pour occuper une vie.
La peur-prudence, la peur-méfiance, la peur-intuition. "La peur, c'est important, il faut l'écouter". Il m'a confié ses peurs pour que je perde la mienne. (p.17)
La peur du loup est ancienne. Ce sont les puissances de la forêt qui s'éveillent dans la nuit et votre petitesse d'humain qui se recroqueville en un poing serré au fond de l'estomac
Je ne pouvais rien distinguer à l'intérieur de la cabane, c'était sombre et emmêlé, mais l'odeur qui s'en dégageait m'était familière. L'odeur de ces hommes des bois qui vivent seuls depuis des années dans l'intimité de toutes ces macérations. Odeur d'abord de corps mal lavés, je n'ai vu aucune douche aucun bain dans aucune des cabanes d'habitation de mes vieux amis des bois. Odeur de graillon, ils se nourrissent principalement de viandes poêlées, d'épais ragoûts, de viande sauvage qui nécessite un lourd apport de gras. Odeur de poussière déposées en strates momifiées sur tout ce qui ne bouge pas. Et odeur sèche du tabac qui est leur principale drogue.
L'histoire est celle de trois vieillards qui ont choisi de disparaître en forêt. Trois êtres épris de liberté.
- La liberté, c'est de choisir sa vie.
- Et sa mort.
La photographe
J’avais fait des kilomètres et des kilomètres de route sous un ciel orageux en me demandant si j’allais trouver une éclaircie dans la forêt avant la nuit, au moins avant que l’orage n’éclate. Tout l’après-midi, j’avais emprunté des routes spongieuses qui ne m’avaient menée qu’à des enchevêtrements de pistes de VTT, des chemins de halage forestier, et puis plus rien que des mares de glaise, des lits de sphaigne, des murs d’épinettes, des forteresses noires qui s’épaississaient de plus en plus. La forêt allait se refermer sur moi sans que je mette la main sur ce Ted ou Ed ou Edward Boychuck, le prénom changeait mais le patronyme restait le même, signe qu’il y avait quelque indice de vérité dans ce qu’on m’avait raconté sur ce Boychuck, un des derniers survivants des Grands Feux.
J’étais partie avec des indications qui m’avaient paru suffisantes. Après la route qui longe la rivière, prendre à droite sur une quinzaine de kilomètres jusqu’au lac Perfection, facile à reconnaître, ses eaux sont vertes, du jade, une eau de glacier du quaternaire et une rondeur d’assiette, une rondeur parfaite, d’où son nom, et après la contemplation de l’assiette de jade, prendre à gauche, il y a là un chevalement tout rouillé, faire une dizaine de kilomètres en droite ligne, ne surtout pas prendre les traverses, tu vas te retrouver dans des vieux chemins forestiers et ensuite, tu ne peux pas te tromper, il n’y a que cette route qui ne mène nulle part. Si tu regardes à droite, tu vas voir un ruisseau qui descend en cascade dans du basalte, c’est là que Boychuck a sa cabane, mais autant te le dire tout de suite, il n’aime pas les visiteurs.
La rivière, le lac de jade, le vieux chevalement, j’avais suivi toutes les indications, mais pas de ruisseau en cascade ni de cabane et j’étais rendue au bout de la route. Plus loin, il y avait un sentier en friche, tout juste bon pour un VTT, rien que mon pick-up n’aurait voulu enjamber. J’en étais à me demander si j’allais faire marche arrière ou m’installer pour la nuit à l’arrière du pick-up, quand j’ai aperçu de la fumée poindre à la base d’une colline et former un mince ruban qui se balançait tout doucement à la cime des arbres. Une invitation.
Les yeux de Charlie, dès qu’ils m’ont aperçue dans l’éclaircie qui entoure son ramassis de cabanes, m’ont lancé un avertissement. On ne pénètre pas dans son domaine sans y être invité.
(Incipit)
Tous ces tableaux entassés dans leur mystère, là, tout près, contenaient l'histoire d'une vie, l'histoire d'un garçon marchant dans les décombres fumants, d'un homme enfermé dans son malheur, l'histoire qui lui avait échappé tout au long de sa recherche sur les Grands Feux se trouvait encodée dans des taches de couleur dont seule Marie-Desneige avait la clef.
La mort est une vieille amie. Ils en parlent à leur aise. Elle les suit de près depuis si longtemps qu'ils ont l'impression de sentir sa présence tapie quelque part, en attente, discrète le jour mais parfois envahissante la nuit.Leur conversation du matin est une façon de la tenir à distance.