Citations de Jocelyne Saucier (295)
Et l'amour ? Il faudra encore attendre, c'est trop tôt pour l'amour.
C'est là que j'ai entendu Zorro rêver de devenir ingénieur. A cause du génie qu'il y a dans le mot, je crois, car il n'avait aucune idée de ce que faisait un ingénieur quand Tintin le lui a demandé. (...) et puis il a voulu être architecte, ensuite sculpteur, peintre, poète, pour avouer un beau soir, qu'il serait rien de moins que Léonard de Vinci des temps modernes. Le dictionnaire avait encore une fois aidé.
_ Ça te dirait aussi d'être pédale ?
Je ne sais pas où Matma avait trouvé ça, mais, chose certaine, ça lui a obtenu la bagarre escomptée. Lui aussi avait voulu être inventeur, et se faire voler son rêve par un ingénieur de guerre, fût-il Léonard de Vinci, était au-delà de ce qu'il pouvait supporter.
Ses quatre logements nous faisaient un habitacle magnifiquement biscornu, un enchevêtrement de portes et de cuisines-salons qui convenait parfaitement à la désorganisation de nos vies. J'en ai gardé un goût prégnant pour le désordre.
[…] Il nous faudrait attendre d’autres rencontres pour que nos âmes soient prêtes à recevoir ce qui devait être dit.
[…] LaTommy est sortie de l’auto, emportant avec elle le pantalon et la chemise qui devaient mettre fin à l’horrible jeu de rôle auquel elle s’était livrée. Nous savions dès lors, Émilien et moi, qu’elle s’était chargée de sauver la famille. Ou qu’on l’en avait chargée.
[…] Il y avait eu enquête après l’explosion. Des policiers étaient venus, avaient interrogé tout le monde, et s’en étaient retournés avec leurs tonnes de soupçons et pas une once de preuve contre nous.
[…] Je le sais, moi qui attendais l’instant sublime où son regard se poserait sur moi, à table quand elle nous servait et faisait le compte de ses enfants, la nuit quand elle allait d’un lit à l’autre et que, ô bonheur des anges, je la sentais se pencher sur mes angoisses de la journée.
[…] «Regarde, regarde-moi, vois ce que tu as fait.» J’ai traversé le pont avec lenteur à cause des planches disjointes du tablier et de la voix qui me poursuivait. «Regarde où l’ont menée tes jeux cruels.» En sortant de la pénombre du pont couvert, je nous ai vus, Émilien, LaTommy et moi, là, en plein soleil, en plein cauchemar, dans la vieille auto d’Émilien. «Regarde-la bien maintenant. Entends son cri. Vois toutes ces tonnes de roches qui s’abattent sur elle. Regarde la chair qui se déchire, le sang qui gicle, le ventre qui s’ouvre, le cerveau qui éclate. Vois ce que tu as fait.»
[…] Ils chuchotent plus qu’ils ne parlent. Charlie a sa voix de velours, celle qu’il utilise pour approcher un animal effrayé. Marie-Desneige est plus à son aise. Elle a l’habitude des dortoirs, des confidences qu’on se chuchote d’un lit à l’autre. C’est d’une voix étouffée, à peine audible, qu’elle raconte un peu de sa vie à l’asile avec cette amie qui se prenait pour la reine d’Écosse et qui lui donnait ses bas à laver et ses ourlets à refaire en échange de sa protection.
- Personne n’aurait osé s’en prendre à Ange-Aimée, reine d’Écosse, d’Angleterre, des Carpates et des Nations unies.
- Les Carpates, c’est pas un pays.
- Les Nations unies non plus.
Ils rient.
[…] L’histoire s’installe tranquillement. Rien ne se fait très vite au nord du 49° parallèle.
[…] Quelques égarés de la route, des chasseurs, des pêcheurs venaient parfois se perdre à ma porte. Ils cherchaient des espaces vierges, là où aucun homme n’avait posé son pied d’astronaute. Je les envoyait à l’ouest. Il y avait là suffisamment de vieux chemins forestiers pour les occuper tout un après-midi à tourner en rond.
[…] Je suis photographe, ai-je encore dit, je fais des photos des personnes qui ont survécu aux Grands Feux.
[…] J’arrive avec mon barda. Mon trépied, ma Wista à soufflet et mon voile noir. Je fais de la photo à l’ancienne. Pour la précision du grain qui va chercher la lumière dans le creux de la chair et pour la lenteur du cérémonial.
Mon portfolio contient une centaine de photos, des portraits pour la plupart, mais il y a aussi des clichés pris sur le vif avec ma Nikon et qui n’ont d’autre but que d’apprivoiser le sujet à la première rencontre.
Quatre hommes attendaient la venue des anges dans un étang. De l'eau jusqu'aux aisselles, de longues traînées boueuses sur le visage et de grands yeux hébétés, ils se croyaient les derniers humains de la terre. Avec eux dans la lumière dorée, un orignal qui avait trouvé refuge dans l'étang et, perché sur l'épaule du plus jeune d'entre eux, celui qui a raconté, un oiseau qui pépiait à s'égosiller.
Ils ont vu passer le jeune Boychuck.
L'endroit était ravissant. La colline qui descendait en pente douce jusqu'au lac est couverte d'un vert puissant, une forêt de conifères qui absorbait la lumière de cette belle matinée de soleil et la répandait comme un long fleuve tranquille. C'était d'un calme majestueux. L'îlot de bicoques, logé dans une large éclaircie de forêt au pied de la colline, était touchant de fragilité. Petit poste d'observation adossé aux remparts de la forêt, il avait l'immensité du lac qui s'offrait à lui. J'imaginais les matins de Boychuck à contempler tout cela.