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EAN : 9782253059509
558 pages
Le Livre de Poche (01/04/1992)
4.42/5   195 notes
Résumé :
Qui est Fred Barthélemy, dont Michel Ragon nous fait une biographie si passionnante ? Qui est Flora, la petite fille de ses amours enfantines, devenue marchand de tableaux célèbre et richissime ? La Mémoire des vaincus mêle personnages réels et personnages inventés en une vaste fresque où l'histoire, le mythe, le romanesque et l'autobiographie se conjuguent.

Dans le cours du roman, communisme, anarchisme, fascisme apparaissent dans leur complexité, d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
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« La conscience de l'anarchie »

Contre toutes les oppressions, la vie de Fred Barthélémy traverse le XXe siècle et son histoire comme une étoile filante.
Véritable viatique de l'utopie en marche et du mouvement libertaire, le livre de Michel Ragon est une fresque sociale passionnelle qui balaie l'histoire du regard des laissés-pour-compte. Pour ne pas oublier et espérer.

« Il suffit de quelques uns pour que la mémoire des vaincus ne sombre pas dans le néant. »
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Magnifique fresque qui nous permet de découvrir de l'intérieur la Grande Histoire.

Grâce à un personnage fictif, anarchiste et libertaire, l'auteur nous fait vivre et rencontrer des personnes bien réelles qui ont participé à écrire les grands faits du XXème siècle.

Depuis la Commune de Paris en passant par la Première Guerre, la Révolution Russe, le Front Populaire en France, la Guerre d'Espagne, la Seconde Guerre Mondiale jusqu'à mai 68, vous découvrirez, à travers le parcours de cet homme, L Histoire en marche en étant au plus près des évènements.

Je n'en dirai pas plus et préfère, si vous voulez en savoir plus, vous renvoyer vers la magnifique critique faite par Hardiviller sur cet ouvrage et qui m'avait incité à le lire.

Ce livre me renvoie juste à Robert Margerit qui sur le même principe d'un personnage inventé, nous fait découvrir et participer à la Révolution Française, n'hésitant pas comme dans ce présent ouvrage, à nous faire asseoir à la table de personnages illustres.

Si vous aimez L Histoire, la petite et la grande, alors....



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C'est avec beaucoup de respect et avec beaucoup d'empathie que Michel Ragon a ecrit cette biographie romancee d'un homme (fictif? avatar de quelqu'un qui a reellement existe et dont il cache le vrai nom?) qu'il nomme Fred Barthelemy et qui represente a lui tout seul la trajectoire des anarchistes au XXe siècle. Et il a reussi a m'inoculer cette empathie.

C'est une histoire de luttes populaires, de reves et d'ideaux qui ont marque la realite europeenne et occidentale pendant pres d'un siècle. Des bombes de la Bande a Bonnot jusqu'a l'apres Mai 68, en passant par la revolution russe d'Octobre, la guerre civile espagnole, les emprisonnements et deportations de la deuxieme guerre mondiale, et les efforts pour publier une presse libertaire tout le long du siècle.

C'est la memoire de gens qui ont lutte pour une meilleure societe et qui ont ete vaincus par l'histoire. Vaincus? Ceux qui luttent, qui n'arretent pas de lutter, peuvent-ils etre jamais vaincus? Pas vraiment, ils renaissent a chaque fois de leurs cendres, comme le phenix. Et ces vaincus continuent peut-etre leur lutte par l'entremise du livre de Ragon: la lutte pour une memoire non diabolisee. La memoire de societes revees, de revolutions qui ne purent jamais etre menees a terme mais a chaque tentative conquerant de nouveaux esprits, de nouveaux lutteurs.

Autour de ce Fred Barthelemy fictif Ragon fait vivre nombre de personnages historiques reels. Des libertaires francais oublies comme Paul Delessalle, Rene Valet, Louis Lecoin (je les cite pour que leurs noms soient ecrits encore une fois, ils meritent bien ca) et des figures comme Lenine, Trotsky, Victor Serge, la feministe avant l'heure que fut Alexandra Kollontai, le meneur de paysans ukrainiens Makhno ou l'espagnol Durruti. Il raconte l'acharnement des communistes contre les libertaires, acharnement que nous comprenons aujourdh'ui quand nous savons que ce qui se targait d'etre une dictature du proletariat n'etait que la dictature d'un parti.

Ragon a ecrit un beau livre. Je me repete: il a reussi a me faire partager son empathie pour son (en fait ses) heros. Dans cet etat d'esprit je clos ce billet avec des mots de Leo Ferre:
Les anarchistes
Ils ont un drapeau noir
En berne sur l'espoir
Et la melancolie
Pour trainer dans la vie
Des couteaux pour trancher
Le pain de l'Amitie
Et des armes rouillees
Pour ne pas oublier
Qu'y'en a pas un sur cent et qu' pourtant ils existent
Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous
Joyeux et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout.

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"Le pouvoir est maudit, c'est pourquoi je suis anarchiste"
Louise Michel


Récit de la vie d'un homme et de ses idées, "La mémoire des vaincus" oscille entre la fresque historique et la biographie romancée, pour mener le lecteur dans les méandres de l'Histoire et vers des piles de livres à lire, s'il se trouve captivé par le propos.

Cela tombe bien, Fred - Gavroche des années 1910, rencontre un jour les livres chez le libraire libertaire Paul Delesalle et ce sont ces livres, les publications de tous ordres que l'adolescent va avidement faire siens, dans la librairie de cet homme, qui vont déterminer sa vie. Tout autant que les rencontres fortuites quand il faut trouver un endroit où passer la nuit, un endroit où se mettre à l'abri avec Flora, petite fille évadée d'une vie trop dure et dont il se sent responsable.

Des Tranchées de la Grande Guerre à la Révolution Russe, des balbutiements du communisme russe au Front Populaire en traversant la Guerre d'Espagne, c'est l'honnêteté d'un homme épris d'une idéologie qui est contée : des erreurs, il en fera, qu'il ne contestera pas, trop innocent, trop naïf, trop pressé de voir la vie quotidienne changer, devenir plus équitable mais l'égalité masque la liberté et en perdant la primordialité de cette notion précieuse de liberté, il se laisse emprisonner dans un régime politique dont il s'aperçoit vite qu'il n'est qu'une prison autre pour l'homme simple qui n'aspire qu'à vivre de son travail.


Passionnant récit qui nous fait rencontrer les grands hommes de l'époque, qui nous fait croiser les meneurs d'idées. Captivant propos qui nous présente de nombreuses pistes pour lire davantage L Histoire avec autant de lampes éclairantes qu'il y a d'interprétations sans ne garder que celle des manuels et celle de ceux qui la déguisent pour s'en arranger.

A ceux qui pensent qu'"Anarchie veut dire Terrorisme", donnez le livre.
A ceux qui pensent que "les idées libertaires sont dépassées", donnez le livre.
A ceux qui pensent que l'égalité est le fondement, parlez leur de la liberté comme emblème premier.

Alors oui, c'est un récit de l'Histoire teinté d'idées libertaires, oui, c'est une histoire de l'Anarchie au vingtième siècle, mais quelle gifle, quel bonheur de penser que l'utopie pourrait se réaliser. Ce livre donne le droit de rêver à une autre vie. Quel espoir de se dire que la vie sans gouvernants, sans pouvoir, sans jalousie pourrait être, que le vivre-ensemble pourrait être une réalité, que le mot solidarité pourrait prendre toute sa puissance.
Il suffirait de quelques hommes de bonne volonté et de quitter ce mode de pensée qui fait que l'homme désire toujours, jalouse toujours, est avide et jamais résigné de son bonheur.


Fred a traversé les chaos de l'Histoire, il nous reste de sa "mémoire", à méditer les possibilités de ses idées... "Vaincu", il ne l'est pas puisqu'il a su me convaincre, mais peut-être l'étais-je déjà, persuadée qu'un mode de vie autre existe et qu'il serait urgent d'y attacher nos regards.


« Des prétendus morts nous accompagnent, vivent avec nous, en nous, plus que tant de vivants que l'on côtoie chaque jour avec indifférence. »
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"Y en a pas un sur cent, et pourtant ils existent, la plupart fils de rien ou bien fils de si peu, qu'on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux -les anarchistes !" chantait Ferré, et c'est ce qu'illustre cette épopée de l'anarchisme en France, de la bande à Bonnot à Mai 68.
Ce roman est une biographie de Fred Barthélémy (personnage fictif), gamin de Paris qui va traverser l'Europe et le XXe siècle au gré des révolutions. Fervent anarchiste, il va croiser les grands noms de l'Histoire, de Moscou à Barcelone, mais également les écrivains et peintres de l'entre-deux-guerres.
J'ai adoré ce roman, qui fourmille d'informations sur le mouvement anarchiste, son idéologie et ses principaux représentants, et propose une interprétation libertaire de l'Histoire. Et même si cette interprétation diverge parfois de la mienne, j'ai apprécié l'enrichissement qu'elle m'offre.
Mais ce roman décrit également la France ouvrière de la première moitié du XXe siècle, entre l'usine, les bals, les dimanches en famille, et pose la question du militantisme quand on n'est pas un professionnel de la politique, mais que l'on rêve d'autogestion et de liberté.
Nul besoin d'avoir des connaissances approfondies en Histoire pour plonger dans ce livre, tant l'écriture de Michel Ragon est didactique sans jamais être pesante : on apprend à chaque page. Et difficile de lâcher ce récit qui, bien que sobre, vibre de sincérité, et nous place du côté des perdants de l'Histoire -pourtant initiateurs de quelques uns plus grands événements du XXe siècle, mais promptement effacés de la mémoire collective. L'auteur rend donc un hommage passionné et passionnant à tous ces anars qui "ont tout ramassé, des beignes et des pavés, (qui) ont gueulé si fort qu'ils peuvent gueuler encore, (qui) ont le coeur devant et leurs rêves au mitan, et puis l'âme toute rongée par des foutues idées" (Léo Ferré).
Un roman hautement recommandable, pour qui souhaite s'ouvrir un peu plus l'esprit, et préserver et transmettre cette mémoire des si beaux vaincus.
Salut et fraternité.

Et très grand merci à Hulot pour m'avoir fait découvrir ce livre.
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Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
Je vais te raconter une histoire, dit Igor. Une histoire que j'ai vécue. Une histoire que les historiens de la Révolution ne retiendront pas car elle leur paraîtra immorale, absurde, anti-historique, quoi ! Juste après Octobre, dans les jours qui suivirent immédiatement, la Révolution faillit périr. Oui, elle a failli périr, noyée dans l'alcool. [...]
Il est bien normal que les insurgés fêtent leur victoire, qu'ils se détendent les nerfs en buvant un bon coup. Seulement, tout le reste de la population suivit. Il y a toujours plus de badauds que de combattants, dans une révolution, mais lorsqu'il s'agit de triompher, tout le monde veut en être. Une orgie sauvage déferla sur Petrograd. [...]
Kerenski chassé, les derniers débris du tsarisme enfuis, toute la pauvreté de la ville se révéla. Tous les pauvres, tous les infirmes, tous les vagabonds, comme des cloportes, déboulèrent des ruines, se ruèrent vers les caves du palais d'Hiver, en tirèrent les bouteilles, se saoulèrent à mort sur place. Les soldats que Trotski envoya pour les déloger, leur arrachèrent les bouteilles des mains, mais au lieu de les détruire, ils crurent plus simple de se les vider dans le gosier. Ce fut le commencement de l'enivrement général qui gagna toute l'armée. Le régiment Préobrajenski, le plus discipliné, dépêché pour rétablir l'ordre, ne résista pas à la contagion. Les caves du palais d'Hiver accumulaient tant de vins et de spiritueux que les soldats n'arrivaient pas à l'éponger. Le régiment Pavloski, rempart révolutionnaire entre tous, vint à la rescousse et tomba lui aussi le nez dans le ruisseau. Que dis-je, le ruisseau ! De rivière, l'alcool devenait fleuve. Les gardes rouges eux-mêmes glissaient dans l'orgie. On lança les brigades blindées pour disperser la foule. Elles entrèrent dans le tas, cassèrent quelques jéroboams et, finalement, les blindés se mirent à zigzaguer et à défoncer les murs des celliers et des cafés aux volets clos. J'assistais, atterré, à cet effondrement de la Révolution. Si Kerenski avait alors osé revenir, si les généraux blancs avaient su dans quel état se trouvaient les insurgés dans les semaines qui suivirent la prise du palais d'Hiver, la Révolution était balayée en un tour de main. Mais eux aussi, peut-être, sans doutes, noyaient dans la vodka leur défaite. Nous étions seulement quelques camarades obstinément à jeun qui essayions de colmater les brèches. On clouait des barricades devant les bistrots et les caves. Les soldats escaladaient les maisons par les fenêtres. Markine, ancien matelot de la Baltique, entreprit de détruire à lui seul, sans boire une seule gorgée d'alcool, tous les dépôts du palais d'Hiver. Chaussé de hautes bottes, il s'enfonçait dans un flot de vin, jusqu'aux genoux. Des tonneaux qu'il éventrait, le vin giclait en ruisseaux qui s'écoulaient hors du palais, imprégnant la neige, vers la Neva. Les ivrognes se précipitaient vers ces traînées rouges, lampaient à même dans les rigoles. Non seulement la garnison de Petrograd, qui joua un rôle si déterminant dans les révolutions de février et d'octobre, se désintégra et disparut dans cette beuverie énorme, mais la contagion éthylique gagna ensuite la province. Des trains qui transportaient du vin et des liqueurs étaient pris d'assaut par les soldats. La vieille armée russe ne s'effondra pas sous la ruée des Autrichiens et des Prussiens, elle se délita dans les vapeurs d'alcool. Si Trotski s'acharna à vouloir signer la paix à Brest-Litovsk, c'est qu'il savait que l'armée russe n'existait plus. L'armée russe était saoule. L'armée russe s'était noyée dans une orgie inimaginable. Trotski a bluffé à Brest-Litovsk en proposant aux Allemands de démobiliser les troupes russes. Elles s'étaient démobilisées elles-mêmes.
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Maintenant, tous les soirs, une fois Mariette couchée, Fred posait un cahier d'écolier sur un coin de la table de la cuisine et écrivait ; décrivait tout ce qu'il avait vécu en Russie, l'enthousiasme des premières années de la Révolution, le désenchantement qui suivit, la mise en place de l'appareillage habituel de l'État, la bureaucratisation, la militarisation, l'univers carcéral, les rivalités entre les chefs du Politburo, l'éviction de l'opposition. Il se souvenait que Vergniaud, le leader des Girondins, avait dit de la Révolution française lorsqu'elle devint Terreur : «Saturne dévorant ses enfants». Il voulait intituler ainsi son livre. La Révolution russe, c'était également Saturne dévorant ses fils. L'ogre bolchevik, après avoir avalé goulûment tous ses adversaires, dévorait maintenant ceux qui l'avaient fait ogre. L’ogre s'autodévorait.

Claudine, perplexe, regardait Fred qui écrivait. Il lui avait affirmé qu'il rédigeait une sorte de rapport qui servirait à prendre certaines décisions politiques. Claudine rétorqua qu’elle ne comprenait pas quel exposé il pouvait bien concevoir, lui qui ne frayait avec personne. Fred répliqua que, justement, il s'absenterait pendant quelques jours et qu'elle ne devrait pas s'inquiéter. Durruti et lui projetaient en effet de rencontrer en Allemagne Erich Mühsam.

Pourquoi cette Allemagne, qui devait être le pivot de la révolution mondiale ne bougeait-elle pas ? Durruti savait que Mühsam conservait la confiance des anarchistes allemands et il voulait établir une liaison avec eux. Comme Fred Barthélemy connaissait bien Mühsam, il était indispensable qu'il participe au voyage.

Durruti et Fred préparèrent leur escapade avec une grande exaltation. Fred trouvait en Durruti un camarade à peu près de son âge. Au contraire de Makhno, qu'ils admiraient d'ailleurs tous les deux, mais dont ils constataient l'inéluctable déclin, ils se sentaient sur un tremplin, prêts à bondir. Ni l'un ni l'autre ne savaient où, mais ils pressentaient qu'un jour ils feraient un grand saut.

Erich Mühsam jouissait en Allemagne d'un prestige exceptionnel dû à la fois à sa responsabilité de membre du Conseil central de la première République de Bavière, en 1919, et à son succès d'écrivain. Poète, essayiste, dramaturge, son style acerbe et son humour avaient rendu célèbre cet homme qui venait d'avoir cinquante ans, l'aîné donc de vingt ans de Barthélemy et de Durruti.

Mühsam comprenait bien que les bolcheviks l'avaient abusé. En même temps, il s'effrayait à l'idée de décrocher totalement du parti communiste allemand, demeuré très fort, qui lui paraissait le seul rempart sûr contre la montée d'une nouvelle Ligue prolétarienne qui l'inquiétait beaucoup plus que l'éviction, en Russie, de Trotski et de Zinoviev.

Ni Durruti, ni Alfred Barthélemy, n'avaient entendu parler de ce parti national-socialiste des ouvriers allemands, pas plus que de son chef, Adolf Hitler.

— Hitler, dit Mühsam, ne paye pas de mine avec son vieil imperméable et son chapeau cabossé. Mais qu'on ne s'y trompe pas, il porte l'uniforme des chômeurs. Hitler s'identifie à eux et eux croient qu'il les représente. Cet Hitler est un acteur et un metteur en scène qui ne laisse rien au hasard. Depuis dix ans, dans l'ombre, il prépare sa représentation. Il a déjà créé son drapeau (rouge, bien sûr) avec une croix gammée noire ; ses troupes de choc, les S.A., avec des chemises brunes qui singent les chemises noires de Mussolini.
— Trotski aussi était un grand metteur en scène et un prodigieux acteur, dit Fred. Il n'empêche que sa pièce a fait un four et que le rideau lui est tombé sur la tête.
— Mais non, sa pièce n'a pas fait un four, répliqua Mühsam. Staline la joue maintenant à bureaux fermés. Il récupère tout : l'armée rouge, la Tchéka devenue Guépéou, la bureaucratie, le parti unique. Staline couche avec ses bottes dans le lit que lui a borde Trotski.
— Staline, dit Durruti, c'est la victoire des bureaucrates sur les idéologues.
— Pas si simple, reprit Fred. Du temps de Lénine, Staline se moquait du bureaucrate Trotski. C'est Trotski et Zinoviev qui ont bureaucratisé le bolchevisme. Staline n'est qu'un héritier. Ton Hitler ne me paraît qu'une pâle imitation de Mussolini, lui-même pitoyable matamore. Le danger n'est pas là. Je suis bien placé pour savoir que la pieuvre Komintern étend ses tentacules sur toute l'Europe. Si nous ne réagissons pas, nous serons étranglés. Proclamons partout que l'avenir de la révolution n'est plus en Russie, que la Russie bafoue la révolution. L'avenir de la révolution se trouve en Espagne, avec Pestaña.
— Oui, appuya Durruti. Nous venons pour que tu comprennes bien ça, pour que tu abandonnes l'idée que la Russie représente encore un espoir. En Espagne, les anarchistes sont majoritaires et il n'y existe qu'un seul parti communiste important, adversaire de celui de Moscou et avec lequel nous pouvons donc travailler.

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Cette foule recueillie , cette foule endeuillée , cette foule grave , venue rendre un dernier hommage à Kropotkine , ne savait pas qu'elle assistait aux obsèques de l'anarchie . Pas seulement aux obsèques du dernier des grands théoriciens libertaires , mais aux obsèques de l'anarchie elle-même . A partir du moment où Kropotkine fut enfoui dans la terre du cimetière Novodiévitchi , la répression contre les anarchistes , jusque-là non avouée en Russie , jusque-là presque clandestine , s'accéléra , devint pratiquement officielle . ( Les mêmes faits , avec la même analyse sont relatés par Emma Goldman dans " Épopée d'une anarchiste " ) . En réalité , l'anarchie fut tolérée par les bolchéviks tant qu'elle demeura théorique . Mais dès que le peuple russe , fatigué par les privations , déconcerté par la lenteur du processus révolutionnaire , exaspéré par une bureaucratie aussi corrompue et inefficace que celle de l'Ancien Régime , meurtri par la guerre civile , effrayé par l'omnipotence de la police politique , dès que ce peuple , que cette base , se mit en marche , derrière le cercueil de Kropotkine d'abord , puis dévala en flots menaçants dans les usines , dans les campagnes , décidant d'appliquer l'anarchie dans la vie quotidienne , la panique courut dans les bureaux du Kremlin . Le 1er mars 1921 , une nouvelle incroyable arriva sur la table de travail de Lénine : seize mille marins , soldats et ouvriers de Cronstadt déclaraient la guerre au gouvernement bolchevik et cela au nom de l'authenticité soviétique . Cronstadt , dont Trotski avait été le président du premier soviet en 1917 , Cronstadt dont les marins avaient bombardé le palais d'Hiver et assuré la victoire de l'insurrection d'Octobre , Cronstadt que Trotski appelait " l'honneur de la révolution " , voilà que cette île-forteresse du golfe de Finlande demandait des comptes à ceux qu'elle avait hissés au pouvoir ......
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— A quoi ça sert, tous ces bouquins ? demanda Flora d'un air dégoûté.
— Regardez les enfants, dit Valet. A droite, vous avez les romans et la poésie. A gauche, le social, la politique. D'un côté le rêve, de l'autre côté l'action, Quand vous posséderez les deux, vous pourrez conquérir le monde.
— Allons Valet, ne t'emballe pas, dit le libraire, Les choses sont plus complexes, Les romans, c'est aussi de l'action sociale et la politique, c'est aussi du rêve. Quant à conquérir le monde, qu'en ferais-tu ? C'est la conquête de soi-même, qui importe.

Page 38, Livre de poche.
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« On supprimera l’ Âme
Au nom de la Raison
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la Charité
Au nom de la Justice
Puis on supprimera la justice.

On supprimera l’Esprit
Au nom de la Matière
Puis on supprimera la matière.

Au nom de rien on supprimera l’Homme ;
On supprimera le nom de l’ Homme ;
Il n’ aura plus de nom.

Nous y sommes. «

Armand ROBIN
Les Poèmes indésirables, 1945
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