La mémoire des vaincus ,l'histoire, romancée, de la mouvance d'extrême gauche, anarchiste libertaire au cours du XXe siècle à travers un certain nombre de grands événements historiques, lieux d'expression de cette idéologie, et le destin d'un héros Alfred Barthélémy.
Barthélémy c'est le Forrest Gump de l'anarchisme du XXe siècle.
Un personnage presque ordinaire, inventé par l'auteur qui connaîtra un destin incroyable et la chance d'être au coeur de la plupart des grands combats de l'extrême gauche internationale au cours du siècle dernier mais qui finira aussi dans la solitude et le désoeuvrement à l'image de la perte de vitesse de sa mouvance.
Un personnage fictif qui incarne en quelque sorte l'esprit absolu, l'utopie de ce mouvement,le dépositaire de ses valeurs et d'une mémoire politique fabuleuse.
Le monde des vaincus c'est celui de tous ces hommes ,ces femmes qui se sont battus,en vain,durant des décennies pour leurs convictions socialistes, anarchistes libertaires,pour construire un monde différent,libre et meilleur dans un siècle où les luttes pour les libertés demeuraient essentielles.
Barthélémy les a tous côtoyés,il sera toujours au coeur de la lutte,là où soufflait l'esprit,aux premiers rangs,parmi les cadors et ces éternels vaincus, là où la révolte grondait quelle qu'en soient les pays et lieux d'expression.
Ce livre nous invite à marcher dans les pas de ce prodigieux temoin et à prendre le temps de revivre son engagement absolu presque illusoire, ses combats,son désenchantement.
Pourtant rien ne destinait cet orphelin parisien enfant de la rue à embrasser pareil destin.
Un destin d'électron libre aussi extraordinaire que celui de Barthélémy repose sur des hasards, celui qui lui fera rencontrer très tôt en banlieue parisienne une bande de jeunes gens différents, déterminés,les illegalistes de la bande à Bonnot,Jean Valet en tête mais aussi Delessalle,
Victor Serge , Almeyreda qui lui ouvriront les yeux et l'esprit aux thèses libertaires et... à la pratique de la langue russe.
Cette pratique qui , heureux hasard,le sauvera de l'enfer de la guerre de 14-18 et lui ouvrira à partir de 1918 au sein d'une délégation française les portes de la jeune et troublante Russie révolutionnaire et de la IIIe Internationale.
Côtoyant Lénine Trotsky Zinoniev il vivra de l'intérieur l'exaltation dune révolution qui une fois qu'elle aura quitté la théorie ne sera plus en pratique qu'un simulacre de construction socialiste. Barthélémy en constatera rapidement les limites échappant de justesse à la purge des forces de gauche,des ennemis intérieurs de la révolution y compris anarchistes.
Il simpregnera de ces rencontres,se fera toujours un honneur de faire perdurer et vivre
la mémoire des vaincus ,de ces proscrits par ses actions et ses écrits .
Des exclus que Barthélémy retrouvera, à nouveau par hasard, à son retour à Paris en 1924, en la personne de l'exilé et impotent Makhno employé désormais comme lui aux usines Renault.
De quoi le tirer de la léthargie dune vie devenue ordinaire , lui permettre de s'agiter à nouveau au sein d'une sphère anarchiste pas résignée mais de plus en plus marginalisee dans une France où les partis du nouveau Front Populaire trustaient légitimement toutes les attentes et attentions et dans une Europe sous dangereuses influences communiste et fascistes.
Le combat passera par le brûlant foyer espagnol terrain de lutte idéologique et militaire absolu et total où une fois de plus les libertés seront outragées et la révolution mourra dans ses eternelles contradictions et sous les coups de ses impitoyables bourreaux rouges et bruns.
Le rouleau compresseur de l'histoire ne s'arrêtera plus ,les libertaires ne pesant définitivement guère avec leur seul pacifisme face à la barbarie croissante des totalitarismes galopants et l'aveuglement des masses.
L'histoire n'est qu'un éternel bégaiement elle se sera montrée impitoyable avec ces soldats de la liberté,ce roman même avec sa part d'imaginaire restitue parfaitement l'embrasement des coeurs et des esprits se propageant en de multiples foyers dans l'Europe agitée du XXe siècle et le combat presque perdu d'avance des activistes anarchistes face à ce que certains ont appelé le sens de l'histoire.
Au coeur même de ces luttes l'auteur en nous narrant la destinée de Barthélémy nous fait parfaitement découvrir l'envers du décor,les ressorts de ces révolutions prolétariennes perdues et des farouches luttes de pouvoir qu'elles engendrerent, les vainqueurs,les vaincus,les combattants,les traîtres,les idéologues,les utopistes,les résignés,les activistes, il croisera beaucoup de monde,observera beaucoup.
C'est soixante ans d'idéologies,de luttes,de bouillonnement des idées, d'engagements qui sont restituées dans cette folle toile sociale prolétarienne et politique d'envergure où l'on côtoie également Staline,
Voline,Durruti,la CNT,Doriot,Hitler,Franco,Blum, Péguy,Céline...
Barthélémy au contact de la réalité avait tout compris mieux que quiconque,il suffit de l'écouter ,de le suivre au travers de ces pages pour s'immerger totalement dans la grande histoire des luttes libertaires.
Ce roman en ce sens est particulièrement instructif,le ton de l'auteur se veut volontairement pédagogique clair et détaillé.
Un ouvrage majeur,une épopée romanesque forte et flamboyante qui place
La mémoire des vaincus dans la catégorie des très grandes oeuvres,des oeuvres populaires en ce sens qu'elle permettent une vraie vulgarisation de l'histoire.
Ce livre biographie écrit par
Michel Ragon occupera donc une place centrale dans la bibliothèque de ceux et celles qui veulent se construire ou étayer leur culture historique politique et idéologique.
Même broyés par l'histoire ces vaincus conservent une vraie grandeur et un socle fort sur lequel s'appuie ce livre,leur mémoire est là imprégnez vous en pour mieux l'honorer.