Patrick Modiano est un cas.
Prix Nobel de littérature en 2014, il est cité par nombre d'écrivains, de comédiens, de lecteurs comme une référence absolue. Il est ainsi un des grands auteurs français contemporains. Il vient de publier deux nouveaux ouvrages : un roman et une pièce de théâtre. Cela m'a donné envie de (re)découvrir son travail, que je n'avais fréquenté qu'une seule fois il y a au moins quinze ans. C'était avec
Rue des boutiques obscures, livre qui lui avait valu le Goncourt à la fin des années 70. J'en gardais le souvenir de quelque chose de flou, d'éthéré, de mystérieux, comme nimbé d'un voile. Et bien quinze ans plus tard,
Villa Triste m'a fait exactement le même effet!
Victor Chmara ou plutôt l'homme qui se fait appelé Victor Chmara – c'est un faux nom – revient dix ans après l'avoir quittée dans une ville thermale proche de la frontière suisse dont le nom commence par A ( Annecy ? nous ne le saurons jamais, pas plus que le vrai nom du héros). Il avait au moment de son départ dix huit ans et fuyait – probablement, mais ce n'est pas sûr – la conscription pour la guerre d'Algérie. Pourquoi est-il revenu? Nous ne le saurons pas non plus. Enfin si, peut-être suite à la lecture d'un article dans un journal relatant un suicide. Mais ce n'est pas sûr. Quoi qu'il en soit, de nouveau à A, il se remémore l'été qu'il y a passé et sa liaison avec Yvonne, jeune actrice en devenir venant de tourner dans un film énigmatique. Yvonne traînait son spleen et son élégance dans un grand hôtel de A. Elle y vivait avec un dogue allemand neurasthénique, une grosse somme d'argent en liquide et fréquentait un jeune médecin homosexuel aux relations douteuses, faisant avec la suisse un commerce sulfureux. Lequel? Nous ne le saurons pas non plus… Ensemble, ils formèrent le temps d'un été un trio complice passant de soirée chics et étranges en concours d'élégance, de promenades en bateau en moments d'ennui, cloîtrés dans la “
villa triste” du médecin homosexuel où ils atterrissaient régulièrement et qui donne son nom à l'ouvrage….
Modiano choisit de raconter une parenthèse dans une vie. Un moment de respiration entre deux périodes, comme une halte. Mais le héros ne sait plus trop avec précision comment était cette halte. Tous ses souvenirs sont imprécis et donc peu sûrs, soumis à caution et les lieux ont tellement changé en dix ans. Pire que cela, le héros lui-même est indéfini. On ne sait pas qui il est. On sait simplement (un peu) pour qui il essayait de se faire passer à l'époque. L'ensemble du roman est à l'avenant: trouble, mystérieux. Cela donne une atmosphère très particulière au récit, qui n'est pas sans charme.
Mais est-ce suffisant? Je comprends que l'on puisse aimer les récits plein de mystères et de non-dits où le lecteur peut s'inventer ce qu'il veut à partir de vagues postulats disposés à droite, à gauche, au fil de la lecture. Il y aurait ainsi presque une enquête à réaliser à partir des quelques éléments tangibles qui jalonnent l'histoire pour reconstituer au plus près la vérité. Mais le problème – à mes yeux – est que rien n'est réellement donné, tout est trop lointain, trop fugace, trop indécis pour véritablement emporter. Pourquoi me soucierai-je de quelqu'un que je ne connais pas, qui vit des choses dont il se rappelle mal avec des gens dont je ne sais rien? La forme est intrigante et originale, mais elle ne me permet pas d'adhérer au récit, de vivre avec le héros des aventures. Pire même, elle ne permet pas de rencontrer de personnage(s).
Avec de tels partis pris, je suis étonné que
Modiano fasse à ce point l'unanimité. Son oeuvre propose pourtant une mécanique très particulière et clivante. Reste qu'une véritable musique s'en dégage. C'est peut être déjà beaucoup. A vous de juger.
Tom la Patate
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