Formidable, époustouflant, passionnant : je viens de terminer «
Un pays à l'aube » et je reste soufflée, indécise quant à me lancer dans un nouveau livre…
Cette extraordinaire fresque s'appuie sur un fait historique méconnu, la première grève de la police à Boston en 1919, douze mois qui se sont écoulés entre la fin de 1ère guerre mondiale et le début de la Prohibition.
La guerre se termine. Secouée par le chômage, l'inflation et des conditions de vie difficiles, l'Amérique moderne est en train de se construire sur des inégalités sociales insupportables et une misère criante. La population noire, toujours stigmatisée, connait une ségrégation sévère contre laquelle le mouvement naissant des droits civiques peine à lutter. Les « boys » rentrent au pays et s'apprêtent à reprendre les postes occupés par les noirs pendant la guerre.
Boston. Les habitants sont décimés par la grippe espagnole ; attisé par la misère sociale, le syndicalisme reprend de la vigueur, malgré une répression brutale. Les activistes opposés au libéralisme posent des bombes en semant la terreur partout et organisent des attentats, les idées « subversives » ont traversé l'Atlantique !
C'est dans ce contexte de cocotte-minute que se déroulent les destins croisés de Babe Ruth, personnage ayant réellement existé, et reconnu aux États-Unis comme le plus grand joueur de baseball de tous les temps, témoin immobile des mutations de son pays dans le roman, et de deux personnages principaux fictifs.
D'un coté, Danny Coughlin, flic d'origine irlandaise chargé d'infiltrer les cellules terroristes ; c'est un esprit libre et progressiste qui se cherche, en butte au clan familial, et amoureux de Nora, une belle irlandaise à la forte personnalité ; de l'autre Luther Laurence, un jeune homme noir engagé au service des Coughlin. Embarqué malgré lui dans des histoires crapuleuses qui l'ont obligé à fuir sa ville, son travail et sa famille, il arrive à Boston.
Dennis Lehanne brosse brillamment un portrait de l'Amérique au moment charnière où celle-ci va basculer dans la modernité. Dans un récit foisonnant où la petite histoire nourrit la grande et l'éclaire, il jongle avec l'histoire du syndicalisme, la diabolisation de l'étranger, la ségrégation envers la communauté noire, la lutte des classes et la manipulation politique ; il dépeint aussi bien la rudesse des conflits sociaux que le melting-pot américain, la ville de Boston et ses quartiers claniques et analyse avec finesse les sentiments qui animent Danny, son père et Nora, la force des préjugés, ou la singularité de l'animal humain, capable de bonté comme de la plus intolérable cruauté… on y retrouve également de grandes figures comme le Président Wilson, Calvin Coolidge ou John Edgar Hoover.
De la littérature qui prend aux tripes, questionne, cultive, fait grandir le lecteur.
Un chef d'oeuvre épique qui évoque forcément « Autant en emporte le vent » et les « Raisins de la colère » ou « Gangs of New York » au cinéma : j'attends avec impatience l'adaptation cinématographique !
PS il ne faut en aucun cas se laisser décourager par la description ( longue !) du match de base-ball sur lequel s'ouvre le roman : forcément, les américains, ça les passionne, nous moins... !