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Citations sur Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : Deux contes (69)

Entretien avec J.M.G. Le Clézio - bulletin GALLIMARD mars/avril 2020.
Lorsque j'ai repris contact avec la Bretagne, devenu adulte, j'ai eu l'impression qu'un vent violent avait balayé ce pays, avait fait s'envoler ce que je connaissais dans mon enfance. C'est l'amuïssement de la langue bretonne surtout qui m'affecte, parce que cette langue, lorsque j'étais enfant était vivante partout où on la parlait depuis toujours, à l'ouest d'une ligne qui va de Saint Malo à Vannes, et maintenant elle s'est tue. Ce n'est pas parce que je suis nostalgique du passé, c'est parce que la disparition d'une langue aussi ancienne, aussi originale que la langue bretonne, aussi différente du français, cela me chagrine, me donne le regret de ne pas l'avoir parlée, de ne pas l'avoir écoutée, pendant qu'il était encore temps. Je pourrais le dire aussi d'autres langues qui ont disparu en quelques décennies, le nahualt du haut plateau mexicain, le cornouaillais, les dialectes des Océaniens ou des anciens Californiens... Sait-on vraiment tout ce qui s'est perdu avec ces langues, ce qui ne reviendra plus, et notre monde qui devient de plus en plus univoque, convenu, ordinaire...
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Je n’ai pas peur. Je crois que je n’ai pas peur. […] La nuit, on ne sait rien de la marée, les flaques sont invisibles, la haute mer brille à la clarté de la lune. J’écoute le bruit du ressac, qui entraîne l’odeur, plus forte dans l’obscurité. Une haleine qui vient des vagues. L’odeur de la lande aussi, une odeur poivrée, piquante. L’odeur de la vase invisible, et l’odeur plus puissante encore, l’odeur du large, dans laquelle il y a le sel, les algues, les failles profondes, les écueils. Les étoiles brillent à travers la lumière de la lune, tout près de l’horizon elles clignotent, mais ce sont aussi des navires de pêche arrêtés pour la relève des casiers. Je regarde tous ces feux, certains allumés par les humains, le phare des Glénan, les balises du côté de l’Ile-Tudy, et par à-coups presque aveuglants, au-dessus des têtes des pins, le grand phare de la pointe, qui découpe les arbres contre les nuages.
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D'avoir eu faim, d'avoir ressenti la peur et le vide durant les premières années de ma vie ne m'a pas endurci. Mais cela m'a rendu violent. Sans doute est-ce le sort de tous les enfants nés au milieu d'une guerre. Non pas qu'ils voient des scènes de crime, de mort, de rapine, mais ils perçoivent de façon instinctive que les règles de la société n'existent plus, qu'il n'y a plus de douceur ni de partage, et qu'il existe quelque part, au-dehors, dans les rues désertes, derrière les façades bombardées, dans les terrains vagues piégés, une autre race d'hommes puissante et dangereuse.
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Je suis souvent revenu à la Torche. Plus souvent qu'à Sainte-Marine, peut-être parce que j'ai pensé que ce lieu ne devait pas changer. Chaque fois que je suis en Bretagne, je visite la pointe, pour retrouver le souvenir de ce que c'était, cinq ans après la fin de la guerre. Le monde change vite, les enfants d'aujourd'hui viennent aussi à la Torche, mais ils voient autre chose. Ils glissent comme des oiseaux sur les longues vagues, à cheval sur leurs planches de surf, il y a même des cerfs-volants géants qui les baladent au-dessus des remous qu'on disait jadis mortels. C'est bien il convient d'oublier les champs de bataille, d'ignorer les restes des forteresses bâties par les esclaves russes et polonais. Moi, je ne le pourrai pas. Dans l'éclat de la mer, la neige aveuglante des nappes d'écume, je vois la violence de l'Histoire, la violence et la fourberie, et sur les ruines solennelles du monument de l'âge du bronze, j'aperçois toujours les dents noires fossiles du grand requin de guerre.
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La faim dont je parle, je l'ai ressentie dans ma petite enfance, pendant la guerre. Je ne me souviens que d'elle. Non pas un creux, mais un vide, au centre de mon corps, tout le temps, à chaque instant, un vide que rien ne peut combler, que rien ne peut rassasier? Une faim du jour, de la nuit, du dehors, du dedans, dans mon lit, dans la cuisine, en dormant, en marchant. Cette faim, les adultes pouvaient la ressentir. D'une certaine façon, ils avaient davantage que moi le droit de se plaindre. Ma grand-mère mangeait les épluchures des légumes pour nous donner, à nous les enfants, la chair des carottes, les morceaux de navets, les pommes de terre. Nous n'avions pas de lait tous les jours.
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La Bretagne de mon enfance n’était pas toujours charmante. Il y avait des tas d’ordures à l’entrée des villages, les routes étaient semées d’ivrognes et certaines maisons étaient d’une pauvreté insupportable. La Bretagne portait souvent les traces de la misère noire dans laquelle elle avait été plongée après sa mise en tutelle par l’État français, et les scènes que décrit le voyageur anglais Arthur Young qui visitait la région de Rennes un peu avant la Révolution semblaient toujours vivantes, mendiants en guenilles et vieilles femmes brisées par la décalcification. On pouvait trouver encore à Quimper la ruelle sordide où avait vécu Jean-Marie Déguignet. La Bretagne de mon âge mûr, et maintenant de ma vieillesse, a changé de visage, est devenue propre et pimpante, les fermes sont, grâce aux femmes, décorées de parterres de fleurs, les villages font des concours pour animer leurs ronds-points et leurs krez ker, leurs centres-villes. L’arrivée de l’agriculture biologique a redonné vie à d’anciennes exploitations rurales qui avaient été abandonnées. Des jeunes, garçons et filles, sans doute désillusionnés par la précarité dans les banlieues urbaines, ont décidé de changer de vie, ils redressent les vieilles pierres, utilisent le compost et refusent les semences industrielles. Ils le font sans forfanterie, ni ce côté militant et sectaire des écologistes de salon. Ils ont les mains rudes et le visage tanné par le soleil et le vent, ils sont les nouveaux aventuriers. Leurs enfants ressemblent aux garçons que nous avions rencontrés jadis, ces cousins éloignés des bords du Blavet, vêtus de peaux de mouton et portant les cheveux longs. Certains parlent à nouveau la langue bretonne (avec parfois un drôle d’accent, mais après tout c’est le propre des langues vivantes que d’évoluer). C’est en partie par eux que la Bretagne vivra.
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Les gosses de Sainte-Marine (dont nous faisions partie), c’étaient pour la plupart les fils et les filles des pêcheurs qui peuplaient le village. Il y avait bien quelques étrangers, dans les belles villas des bords de l’Odet, mais nous ne les apercevions que rarement, à la chapelle les jours de messe. Ils nous semblaient curieux, c’est-à-dire très différents des enfants bretons. Les étrangers, nous les guettions parfois à travers les haies, ou bien en nous haussant devant les portails, des groupes de garçons et de filles bien habillés, qui jouaient au mouchoir, ou au croquet, des jeux qui nous semblaient puérils, mais qui avaient l’air tout de même de bien les amuser. La maison qui m’attirait particulièrement, c’était la maison des filles, au Moguer, sur la route du cap. Au bord de l’Odet, au milieu d’un grand parc d’arbres majestueux, c’était une belle grande villa à étages, avec un toit pointu en ardoises, des lucarnes, des pignons, des sortes de tourelles, et surtout un portail en fer forgé festonné sur lequel je grimpais pour apercevoir le jardin, non pas un champ d’oignons et de pommiers, mais un vrai grand jardin avec allées de gravier et plates-bandes, et derrière la maison, à travers les bosquets de pins, la rivière qui scintillait. Mais ce qui m’attirait, c’était moins le jardin – bien qu’il eût quelque chose de magique et de grandiose qui le rendait si différent du reste du village – que la présence des filles. Cinq ou six filles – et j’appris alors qu’elles étaient les filles d’un des hommes les plus renommés de cette époque, le grand chef des Scouts de France – et pour ajouter à la légende, au mystère, peut-être à l’irritation, toutes étaient grandes, sveltes et blondes, la plus âgée devait avoir dix-huit ans et la plus jeune huit ou neuf ans. Je les observais à travers les festons du portail, je suivais leurs jeux, leurs courses dans le parc, j’écoutais leurs voix mélodieuses, je détaillais leurs robes claires, leurs chapeaux de paille, leurs foulards, leurs sandales, comme si elles sortaient d’un rêve. Je n’ai revu cela que bien plus tard, au cinéma, dans Les Fraises sauvages de Bergman – à la différence près qu’un souvenir volé à travers les interstices d’une porte a une force autrement plus réelle et durable que les images d’un film.
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Sans doute parce que je venais d'ailleurs, que je n'étais jamais chez moi nulle part, ballotté, baladé entre la Maurice de mon père, la Bretagne de mes ancêtres et la Nice de mon enfance-il y avait donc cette déroute, cet exil, et les piliers de pierre dressés vers le ciel, les allées couvertes pareilles à des écailles de dragon, les vaisseaux couchés dans les ajoncs me disaient qu'il y avait un autre monde avant le mien, que j'étais juste de passage...
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"... C'est mon corps qui crie, pas ma gorge. Je n'ai pas choisi ce cri. Je n'ai pas choisi cet instant. C'est cela la guerre pour un enfant. Il n'a rien choisi."
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Nous ne nous sommes pas approchés du sonneur mystérieux. Nous avons écouté la musique apportée par le vent, et quand elle s'est arrêtée nous sommes retournés au village, à Ker Huel, sans rien dire. Je crois que c'est cette musique qui porte l'éternité de ce lieu. Le monde a changé, c'est entendu, il a remplacé ses coutumes et ses costumes, il a un peu oublié sa langue. Mais si quelqu'un joue du biniou, là, un soir, dans la lande, dans le vent et la pluie, loin des maisons pour ne pas faire aboyer les chiens, tout ce qu'on a cru disparu reviendra.
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