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Citations sur Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : Deux contes (69)

Mais l'arrivée à Douarnenez fut un choc : peut-être parce que cette ville regardait vers le nord, il y avait quelque chose de glacial, d'hostile dans ses rues étroites, sur les quais, et jusque dans la couleur de l'eau. Le choc venait surtout des habitants, cette foule compacte, obscure, vestes sombres, casquettes de marins. C'étaient des ouvriers plutôt que des pêcheurs. D'eux, et de leur ville, émanait une expression de dureté, de résistance. C'étaient, bien sûr, des communistes, non pas de ce gauchisme élégant de la région parisienne, mais d'un militantisme silencieux et entêté, tel que l'a montré le cinéma réaliste italien, dans les films de De Sica, de Fellini. La foule sur la plage dans "La terre tremble" de Visconti, dans "Rome, ville ouverte" de Rossellini. Même les femmes de Douarnenez leur ressemblaient, les penn sardin vêtues de leurs uniformes noirs et coiffées de leurs petits bonnets, l'air fermé, endurci. Elles travaillaient aux usines Chancerelle, au Petit Navire, penchées sur les tables à eviscérer les poissons et à les ranger dans leurs petites boîtes. Vingt ans après, tout cela a disparu. La pêche s'est arrêtée, les usines ont fermé, les maisons gris ciment ont été repeintes en couleurs, dans les bars de la place de l'Enfer on écoute du jazz (et on ne s'y bat plus à coups de couteau comme le racontait Georges Perros), il y a des magasins de souvenirs et des pizzerias et le port est devenu un musée...
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J'ai grandi, les premières années de ma vie, sans mon père, qui était médecin en Afrique-Equatoriale. Nous savions qu'il existait, ma mère entretenait une sorte de rituel chaque soir, où elle nous invitait à faire une petite prière pour "papa", qui se languissait de nous voir. C'était un peu abstrait. Ce "papa" aurait pu aussi bien être "papa Noël". Il n'écrivait pas, il n'envoyait pas de photos. Il aurait pu être en prison, ou bien ne pas exister du tout. Est-ce que cela nous manquait ? Comment savoir ? Peut-on regretter l'absence de quelqu'un qu'on ne connaît pas ?
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Sur le quai, autour du bac, c'était le lieu de rendez-vous des gosses. Nous venions là tous les jours, quel que soit le temps, plutôt en début d'après-midi, aussitôt après déjeuner, comme des ouvriers en quête d'embauche. C'était dans l'idée d'embarquer sur une plate pour aller pêcher dans l'estuaire. Presque tous, du moins je le croyais, étaient fils et filles de pêcheurs. Nous avions appris à godiller, les clefs d'amarre, les gestes de la pêche. À la boutique Biger nous avions acheté vingt mètres de ligne, le "catgut", en réalité du plastique transparent, des plombs, des hameçons. Pour les flotteurs nous utilisions des bouchons de liège. Nous lancions la ligne, puis nous la retirions doucement, attentifs aux petites secousses qui chatouillaient l'hameçon. Je crois qu'à ce moment-là rien ne me paraissait plus délicieux que ces petites touches au bout de la ligne, à l'aveuglette, quand les poissons mordaient à l'appât. C'était un jeu, mais aussi plus qu'un jeu, quelque chose de vivant qui répondait, loin au bout de la ligne, à dix mètres de profondeur dans l'eau sombre de la rivière. Les petites secousses remontaient jusqu'au creux de nos doigts, comme un message, un frisson. La plupart du temps nous ramenions l'hameçon dépouillé de son appât et il fallait réamorcer avec la "bouette"...
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Après la plage, nous raccompagnions les filles jusqu'à la ferme, Mme Le Dour avait préparé un goûter de crêpes - non pas les crêpes fines ou les galettes de sarrasin fourrées de choses salées comme on les trouve maintenant, mais de vraies krampouzen de froment épaisses et lourdes, sans sucre ni beurre, et les bolées de cidre tiède (le cidre glacé doit être une invention américaine). Comme de toutes les nourritures d'enfance (les gnocchis cuisinés par la bonne Maria chez ma grand-mère, ou le foufou et la soupe de cacahuètes d'Ogoja au Nigéria), j'ai gardé le goût de ces crêpes, l'épaisseur chaude, le tanin du cidre dans les bols de grès, quelque chose de doux et de sauvage à la fois, dans la pénombre enfumée de la ferme, avec l'odeur des vaches, la lueur du jour par la porte ouverte, les reflets du quinquet sur la vaisselle des étagères et sur les clous des lits-clos formant des losanges et des rosaces, et aussi le rire niais des deux filles qui les vengeait de la violence des arrosages et des poignées de sable dans leurs cheveux.
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Sainte-Marine, c'est l'odeur de l'eau (dans la langue coréenne, c'est par ces mots, hyangsu, qu'on définit la nostalgie). Sur la cale, au départ du bac, le long des quais, une odeur mêlée de piquant, d'acide, de pourri, d'âcreté végétale, de "bouette", de mazout, et la couleur de l'eau, sombre à la marée haute, transparente et presque jaune quand le reflux faisait apparaître les bancs de sable. Je ne me souviens pas des mots que les gosses disaient en breton, pour la pêche, juste quelques-uns, a-paoelev pour aller à la godille, krog eo pour jeter la ligne, higenn pour l'hameçon, bouhed, la nourriture...
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La génération qui a renoncé à sa langue maternelle (cette langue qu'on parlait en Basse Bretagne à la naissance et dans laquelle on grandissait) fut souvent celle qui se retrouva aux premières lignes des conflits, en particulier dans la dernière expédition coloniale imposée aux ruraux, la guerre d'Algérie. On avait besoin de rustres pour faire les sales boulots, les corvées de bois : ce furent les Bretons et les Alsaciens.
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Passé Pont-L’Abbé et Saint-Jean-Trolimon, la route de Saint-Guénolé filait droit sur la pointe, dans la direction du soleil et de l’océan. L’arrivée à la Torche était étonnante. La lande rase portait quelques fermes trapues, adossées au vent, et des arbres rabougris, tortueux, recourbés comme de petits vieux, et des haies de tamaris. Pour nous qui arrivions de la campagne assez charmante de Sainte-Marine, avec ses champs de pommiers et ses prés verts, habitée de résidences de vacances en briques et chaumières coquettes entourées de jardinets à roses roses et hortensias bleus, nous avions l’impression de pénétrer dans la sauvagerie.
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La nostalgie n'est pas un sentiment honorable. Elle est une faiblesse, une crispation qui distille l'amertume. Cette incapacité empêche de voir ce qui existe, elle renvoie au passé, alors que le présent est la seule vérité.
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Quel que soit le but qu'il cherche, l'enfant qui transporte une arme cesse d'être un enfant. Il appartient à un autre âge de la vie, il est entré dans un autre temps, un temps violent, féroce, impitoyable. Le temps des adultes.
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l'Église bretonne, à ce moment, était encore dans le rôle qu'elle avait tenu depuis ses débuts, quand les saints irlandais et gallois étaient venus christianiser l'Armorique, saint Samson, saint Tudy, saint Ronan, saint Yves, saint Tugdual, saint Guénolé, ou saint Conogan qui avait traversé la Manche sur son bateau de pierre.
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