Comme ça parfois, au détour d'une journée discrète, on tombe comme par hasard (mais le hasard existe-t-il? dirait
Borges...) sur un de ces textes hypnotiques qui, le temps de la lecture (dix, cent, mille pages qu'importe, le temps lui-même se retire avec discrétion...) annulent les facultés conscientes de notre cerveau, ouvrent les fenêtres de l'âme et nous transportent en un monde où le passé, le lointain et l'étrange nous embrassent avec la naturelle bonhomie d'un ami proche... Qui est
Caroline Cordesse? On aimerait en savoir plus, mais qu'importe, elle a laissé sur notre chemin cette nouvelle: "L'odeur du terrain vague" ... On y retrouve cette dimension magique, trouble et inquiétante que les choses quotidiennes acquièrent aux yeux d'un enfant sensible et observateur, celle qui éclaire les grands romans de l'adolescence, "Le Grand Meaulnes" et "L'enfant et la rivière" par exemple. Mais le décors n'est pas ici celui de la France rurale du début du XXième mais un quartier périphérique d'une ville provinciale française des années soixante où la transformation traumatique du paysage urbain (le terrain vague...) et l'essor de l'immigration cohabitent avec la routine d'une école publique de quartier, routine rassurante mais aussi porteuse des raideurs et mesquineries d'une société en pleine transformation... Un décors qui nous rappelle aussi celui de "l'argent de poche" de Truffaut. Comme dans ce film, l'exclusion sociale apparait, dans le regard d'un enfant, comme le symptôme de la menace diffuse et angoissante que la société, dans son irrationalité inconsciente, fait peser sur chacun de ses membres....
Car les enfants savent intuitivement, eux qui vont vivre le futur, que l'absurde du présent est le germe des souffrances à venir, et l'héroïne de ce conte, dans l'univers poétique et pourtant ô combien réel qui est le sien (un terrain vague, les amis de l'école, un bidonville entrevu au détour d'une excursion...), analysant les fragments d'informations que le monde des adultes laisse parvenir jusqu'à elle, nous fait revivre avec une poignante intensité l'enfance en ce milieu de siècle dans la France des "trente glorieuses".