Le mercredi est le jour le plus embêtant quand on ne travaille pas; c'est un jour qui demande qu'on soit alerte, actif, pressé; on est en plein dans la bagarre, on bouscule dans la rue, on court d'un métro à l'autre; c'est le jour le plus aigu de la semaine.
Ah cette chambre ! non n'essayez pas de venir me voir ; j'y suis mieux barricadé que si elle avait des centaines de verrous et des chiens policiers. On ne peut pas aller plus loin après ma chambre ; elle est un cul-de-sac ; on y est coincé ; mais avant elle, que de pièces à traverser ! ça rappelle le cinéma quand on a le dernier fauteuil de la rangée et qu'il faut déranger coûte que coûte tant de visages collés à l'écran, et pardon madame, excusez-moi, je ne voyais pas votre chien, et pardon monsieur, je vous ai marché sur le pied, etc., etc., c'est ainsi pour arriver jusqu'à ma chambre : trois pièces à traverser, plus un débarras plein de balais et de chiffons. Je n'ai jamais trouvé aucune pièce vide à mon approche et Dieu sait si j'en ai rêvé, vous savez ces palais glacés aux pièces sonores et désertes « que le pied de l'homme n'a jamais souillés ». À la première, je frappe ; c'est une espèce d'employé sans âge qui se déshabille toujours quand je passe ; je lui dis doucement, d'un ton qui porte à faux, comme si j'étais arrivé en retard à son bureau : « Pardonnez-moi, vous allez bien ? » Il grommelle ; il sent la pipe froide, le tabac humilié du mégot, son costume est de la même couleur : jus de pipe, avec des poches béantes, culottées ; il est étendu sur son lit avec ses souliers mais il a mis son journal dessous ; je voudrais lui dire que c'est plus simple de les enlever mais ça ne me regarde pas ; sa chemise est faite de deux vieilles chemises ; le dos est gris avec des bandes bleues et le devant blanc ; je marche sur la pointe des pieds ; je sais que je le crispe mais je ne peux pas faire autrement ; il a l'air de m'attendre à la première latte du plancher qui pourrait craquer...
...je n'ai jamais eu de montre de poignet : d'ailleurs je n'aime pas sentir la journée passer comme cela dans une aiguillée de vie, battre comme un coeur, vivre sur moi en parasite ; qu'elle soit en dehors, je préfère. Je n'ai pas besoin de savoir l'heure, l'heure des autres.
Jean Frémon de quelques rencontres (Paul Otchakovsky-Laurens, Pierre Morhange, Jacques Dupin, etc.) - : où Jean Frémon, -à l'occasion de la parution de son livre " le Miroir magique"-, se souvient notamment de sa rencontre avec Paul Otchakovsky-Laurens et de ses deux mères, de la revue Strophes et de Pierre Morhange, de Bernard Noël et de Jean Cayrol, de Jacques Dupin et d'Aimé Maeght, de Samuel Beckett et de Maurice Blanchot et où il est question d'édition, de poésie et de prose.