S. A. Cosby

Latrell ferma les yeux.
« Non…, murmura Titus.
- Vous savez pas toutes les choses que j’ai faites. J’ai essayé d’arrêter, mais ils ont dit qu’ils tueraient mon petit frère. L’Ange, il a jamais retiré son masque. Mais M. Spearman, lui, il aimait bien qu’on voie son visage. Il adorait ça, même. »
Latrell débitait ces mots presque sans pause ; on aurait pu croire qu’il récitait une incantation.
« Latrell, attends, l’implora encore Titus, mais le jeune homme ouvrit les yeux.
- Vous aurez qu’à fouiller son téléphone », dit-il.
Titus baissa un peu plus le canon de son pistolet. Latrell brandit la carabine.
« JE SUIS LA MORT ! » hurla-t-il en dévalant les marches vers Titus et ses adjoints.

De l’avis général de ses habitants, le comté de Charon était un endroit paisible où ce genre de drame restait exceptionnel.
De l’avis de Titus, les gens avaient la mémoire courte.
L’histoire récente de Charon était effectivement plutôt calme, mais son passé recelait des horreurs et des abominations qui étaient depuis entrées dans la légende. Et, comme aimait à le rappeler son père en citant un des sermons apocalyptiques du révérend Jackson, Charon était sur le point de connaître une nouvelle saison des larmes. Titus ne prenait pas le pasteur pour un prophète. En revanche, il était convaincu que le temps était cyclique, et que ce qui s’était produit était voué à se reproduire un jour – la roue tourne et finit inéluctablement par retomber sur le même numéro que vingt, trente ou quarante ans auparavant. Peu importait ce qu’ils allaient découvrir dans ce lycée, la longue saison des rires qu’avait connue Charon était révolue. La saison des larmes venait de commencer, et Titus était à la barre.

Peu importait ce qu’ils allaient découvrir dans ce lycée, la longue saison des rires qu’avait connu Charon était révolue. La saison des larmes venait de commencer, et Titus était à la barre.

Les monstres sont parfois capables de faire des choses bien. C’est juste qu’ils préfèrent faire des choses monstrueuses.

Oui, les petites villes sont à l’image des gens qui les peuplent. 
 Tôt ou tard, elles finissent par livrer leurs secrets, mais pour cela, il faut d’abord payer le prix du sang.

Tant que je serais vivant, tu ne seras pas seul, fils, dit-il avant de s’éloigner vers l’escalier.
Et cette simple phrase, ces quelques mots empreints de douceur, étaient la raison pour laquelle l’amour que vouait Titus à son père était plus fort que la rancœur du petit garçon qu’il avait été. C’était la bénédiction du sang.

[...] Titus constata que quatre de ses cinq tirs avaient atteint la tête. Ce serait un enterrement avec cercueil fermé.

[...] Titus songea que l’esclavage était une tache incrustée à jamais dans les fondations de son comté natal.

[...] Nombreux sont les paroissiens à traverser une crise spirituelle et à se tourner désormais vers les cartouches de chasse et les balles de calibre .357 Magnum plutôt que vers le charpentier de Galilée.

[...] Titus songea qu’avec les églises, les salons funéraires constituaient les derniers bastions des vieilles conventions sociales du Sud où l’on continuait à pratiquer la ségrégation volontaire.

[...] Au total, six vidéos se terminent par la mise à mort de la victime. » Titus referma le carnet d’un coup sec. Six, songea-t-il. Ils ont tué six gamins. Six familles quelque part qui se demandent où est passé leur enfant.

[...] Il aurait pu dire à Scott que Jeff Spearman était soupçonné d’être un pédocriminel doublé d’un tueur en série. Il aurait pu lui dire que Latrell avait probablement rendu service à l’humanité en assassinant l’enseignant. Il aurait pu lui dire qu’un troisième suspect non identifié courait toujours. Mais toutes ces informations faisaient partie d’une enquête en cours.

[...] Ils les ont tués. Des adolescents et des adolescentes noirs. Ils leur ont fait des choses dont je préfère même pas te parler parce que je veux pas te mettre les images dans la tête.
[...] « Quel monstre a pu faire ça ? murmura Carla.
– Pas un monstre, un homme, rectifia Titus. Les monstres ne font pas preuve d’un tel sadisme. »

[...] L’Ancien Testament, le Nouveau Testament, ce n’étaient que des mots avec un m minuscule, une brochure écrite par des fanatiques afin de promouvoir leur culte à la gloire d’un charpentier cloué sur une croix.

[...] Il y a une fusillade en cours au lycée et le standard est en train d’exploser sous les appels.
[...] Une fusillade dans un établissement scolaire à Charon… J’ai encore du mal à le croire. On se dit que ça n’arrive qu’ailleurs.
– C’est aussi ce que se disent les gens qui habitent ailleurs.
[...] Le comté de Charon comptait plus d’armes à feu que d’habitants.

[...] Charon était semblable à la majorité des villes et des comtés du Sud : son sol était imbibé de plusieurs générations de larmes et, ici comme ailleurs, violence et chaos.
[...] Le Sud ne change pas. On a beau essayer d’oublier le passé, il finit toujours par se rappeler à nous de la pire des manières.

[...] Peu importe d’où ils viennent et où ils habitent, les gens sont tous les mêmes. Jaloux, haineux, tordus, pervers… Ils volent et ils mentent, et ils mentent en affirmant qu’ils n’ont jamais rien volé. Les hommes trompent leur femme, les femmes trompent leur mari. Et ensuite, tout ce petit monde va à la messe le dimanche pour prêcher la fraternité et l’amour du Christ.

Dans un monde idéal, il se serait dit que celui-ci se faisait vraiment du souci pour lui. Mais le monde n’était pas idéal, et Beauregard savait que le petit discours qu’on lui avait servi n’avait rien d’innocent.

T’oublies jamais rien, de toute façon. La première chose, c’est que je t’aime. J’ai fait un bon paquet de conneries dans ma vie, mais être ton papa, c’est ce qui m’est arrivé de mieux. Quoi que les gens puissent te dire, quoi que ta mère puisse te dire, ne doute jamais de l’amour que j’ai pour toi.

En vérité, on ne se range jamais pour de bon : quand on a un passé criminel, on passe toute sa vie à regarder par-dessus son épaule. On n’enterre pas ses armes sous une chape de béton, on les garde à portée de main, car c’est le seul moyen de s’autoriser à se détendre. Lui-même avait un pistolet caché dans chaque pièce de la maison. Un peu comme de vieux amis, toujours prêts à rendre service.