Ce nest pas de gaîté de cur que Pierre Choulot est dans cet avion en direction de Tokyo : le billet lui a été offert par ses collègues à loccasion de son départ à la retraite. Lui qui adorait son boulot de commandant à la Brigade Financière de la PJ parisienne, a accepté ce voyage pour faire plaisir à son épouse, dorigine japonaise.
Mais quand on retrouve le cadavre du pilote dans le cockpit le commandant Choulot va vite reprendre du service. Très rapidement, il découvre quaucune autre issue ne permet daccéder au cockpit ! Suicide ou assassinat ? Lenquête commence et chacun des cinq cents passagers, chacun des vingt-membres déquipage devient suspect.
Comment expliquer ce qui ressemble dixit son épouse, grande amatrice de roman policier à un meurtre en chambre close ? En prenant la raison par le bon bout...
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Elle devait avoir la soixantaine mais ne les faisait pas. Ses lèvres étaient anormalement charnues et la peau de son cou était tendue comme la voile d'un bateau au près. Choulot ne goutait guère ces onéreux rafistolages maintenant les chairs en place et qui donnaient l'illusion d'une synthétique jeunesse. Il préférait voir les marques laissées par le temps, que ce fût sur les choses ou les êtres...
Il a peur de la douleur mais il n’a pas peur de la mort.
Cette vieille copine qui s’est tenue à ses côtés si longtemps. Une main froide posée sur son épaule. Zlatan a eu le temps de l’apprivoiser et il n’en a plus peur. A-t-on peur de ce qu’on connaît ?
- Pourquoi n'ouvrent-ils pas ? répéta Pierre.
Il n'osa pas le dire, toutefois les images du crash de cet avion allemand, quelques années auparavant, lui revinrent en tête, tel un flash morbide. Les débris partout dans la montagne. Les sièges, les valises, les vêtements et les corps. Presque deux cents morts. Les séquences avaient fait le tour des télés mondiales ainsi que le portrait du pilote dépressif qui avait entraîné tous les passagers avec lui dans sa tombe. Pierre secoua énergiquement la tête pour chasser ces pensées. Ils étaient deux dans le cockpit ! On ne se suicidait pas à deux... Ou alors...
- Ton livre ? Toujours bien ? dérangea-t-il sa femme.
- Terrible, tu veux dire, osa Elizabeth.
- Ils ont trouvé l'assassin, il était caché dans l'armoire ? plaisanta Pierre..
- Que tu es bête...
- C'est n'importe quoi ton truc, faut dire.
- Mais pas du tout ! Le meurtre en chambre close est un classique de la littérature policière. De nombreux auteurs s'y sont essayés, Christie, Conan Doyle...
- Des Anglais. Il n'y a qu'eux pour inventer des trucs pareils, persifla Choulot.
- Oui... Et non... Si le premier meurtre en chambre close est "Double assassinat dans la rue Morgue" d'Edgar Allan Poe, américain pour ta gouverne, dont l'intrigue se passe à Paris, le plus connu est peut-être bien "Le Mystère de la chambre jaune", de Gaston Leroux. Qui est, inutile de te le rappeler, français...
Pierre enregistra ces informations. Il ne prenait jamais de notes. Il l'avait fait à son arrivée à la BRIF mais avait rapidement cessé car il s'était aperçu que ces morceaux de phrases anodins, ces mots, ces dates, ces chiffres jetés sur un calepin, créaient une structure intrinsèque qu'il était difficile de bousculer. Ça figeait une version, par le simple fait de la noter noir sur blanc, tel un canevas mental. Et c'était mauvais.
Tout devait rester mobile, déplaçable, au gré des indices, des impressions récoltées, des témoignages. Tout devait pouvoir glisser, disparaître même. Une enquête se devait d'être prise par le bon bout de la raison. Il ne devait pas forcer les faits à rentrer dans un cadre préconçu, il fallait trouver la version où les faits se disposaient d'eux-mêmes, harmonieusement.
Dans un crissement de pneus digne des meilleures séries américaines, Lefort pile à mon niveau. Pour rester dans l'esprit, je saute sur le capot, y glisse sur les fesses pour passer côté passager, puis m'engouffre dans l'habitacle.
- Qui est dedans ? demandait une hôtesse, grande, lunettes aux montures noires assez épaisses, foulards mauves, à l’une de ses collègues.
- Capitaine et copilote.
- Pourquoi ils n’ouvrent pas ?
- Je n’en sais rien
Comme tout bon flic qui se respecte, j'adore les non-dits, les silences trop longs, les lapsus. Chez un suspect, ce sont autant de signes qui me poussent à chercher plus loin. Pour trouver ce qu'ils cachent.
- Nos métiers se ressemblent après tout. Nous traquons tous les deux quelque chose. Vous des particules...Et moi, des amas de particules, avec deux bras et deux jambes... Pour ce faire, nous utilisons des méthodes similaires, nous accumulons des indices...Quand un courant apparait dans l'une de vos cuves, ne décrétez-vous pas qu'un neutrino l'a traversé ?
- Si, inspecteur. Mais vous faites erreur sur un point. Ma recherche et la votre diffèrent de façon fondamentale . Plus vous en savez, plus vous vous rapprochez de la vérité. Ici, c'est l'inverse, plus nous en savons, plus le mystère s'épaissit.
L’air extérieur, frais mais soufré, épais et irritant, tranchait avec celui de l’intérieur, moite, éthylique et tiède. Le fracas des bombes était assourdissant. Non, pas des bombes, des orgues de Staline, pensa-t-elle.
Elle se figea. Cependant, son hésitation fut de courte durée, elle contourna la fosse encore fumante d’où s’échappait une odeur de viande grillée et s’élança à travers le jardin dévasté, zigzaguant entre les larges cratères.
Pas de direction précise.
S’éloigner. Le plus possible.