La beauté fait le vide ─ elle le crée ─ comme si cet aspect que prend toute chose qui en est baignée venait d'un lointain néant et devait y retourner, laissant la cendre de sa face en héritage à la condition terrestre, à cet être qui participe à la beauté ; et lui demande toujours un corps, sa juste image, dont par une espèce de miséricorde elle lui laisse quelquefois la trace: cendre ou poussière. Au lieu du néant, un vide qualitatif, pur et marqué à la fois, l'ombre du visage de la beauté lorsqu'elle se retire. Mais la beauté qui crée ce vide, ensuite, le fait sien, car il lui appartient, il est son auréole, l'espace sacré où elle demeure intangible. Où il est impossible à l'être humain de s'installer, mais qui le pousse à sortir de lui-même, qui amène l'être caché, âme accompagnée des sens, à sortir de soi ; qui entraîne avec lui l'existence corporelle et l'enveloppe, l'unifie. Et sur le seuil même du vide que crée la beauté, l'être terrestre, corporel, existant, capitule ; il livre ses sens, qui ne font plus qu'un avec son âme. Evénement qu'on a nommé contemplation et oubli de tout souci.
On dirait que la beauté tout entière est le voile de la vérité, que la vie même qui nous est donnée est le voile de l'être. Que, tant qu'il vit, l'être du vivant se dissimule à ses propres yeux, pour ne se déployer que dans le total abandon.
Et qu'un être divin n'en finit pas de mourir. Et de naître. Un être divin ; feu qui se rallume dans sa seule lumière.
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Jacques Munier, diffusée le 17 septembre 1982 sur France Culture. Invités : Marie Laffranque, Nelly Lhermillier, Michèle Le Doeuff, Edison Simons, Rafaël Tomero et Claude Mettra.