La raie de l'Aurore
La nuit et le jour, l'été et l'hiver, le sommeil et la veille se conjuguent, et il n'y a ni déclin ni coucher. Notre grammaire ne devrait pas avoir recours à ce cas circonstanciel qu'est l'ablatif, où l'être irrémédiablement décline, où il s'embrouille et où le temps se pétrifie : ce cas qui ferme au lieu d'ouvrir. L'Aurore n'avait donc rien d'une raie. La lumière blessait seulement celui qui n'accomplissait pas le voyage, qui désormais ne comporterait plus de sacrifice. La raie qui devint ensuite ostensible est surtout le signe ineffaçable de la transcendance abandonnée ; implacable aurore sanglante, elle ne prendrait pas la suite des plus pures aubes. Et ce qui fut un résultat serait interprété comme un prophétie. C'est le danger de toute histoire. Sans l'erreur qui consiste à interpréter un abandon, une infidélité, comme une prophétie, l'histoire existerait-elle, ou du moins cette histoire qui est la nôtre ? Et dans les aurores sanglantes; s'il y en avait, l'effigie de l'homme n'apparaissait pas.
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La nuit de l'Aurore, la source
Nuit et source qui donne à sentir qu'elle reviendra, mais, désormais pour toujours. Déjà à l'intérieur de l'être, dans l'être même, et non son phénomène ou son altération. Le temps aurait-il enfin cessé d'être séparation ? Aurait-on atteint l'éternel retour dans sa totale perfection ? C'est-à-dire quand il n'aurait plus à renaître, parce qu'il est né tout à fait, et sans le savoir.
« De la Aurora », 1987.
(Deuxième & quatrième partie – extraits | éd. L'éclat, poche, 2017 – pp. 69 & 155)
Chez l'être humain, comme on le sait, la lumière est cachée parmi les ténèbres et elle les y a précédées.
Ainsi l'Aurore n'est pas le commencement, mais le centre du jour au milieu de la nuit, le jour-nuit (...)
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Jacques Munier, diffusée le 17 septembre 1982 sur France Culture. Invités : Marie Laffranque, Nelly Lhermillier, Michèle Le Doeuff, Edison Simons, Rafaël Tomero et Claude Mettra.