Comprendre la révolution woke

Très instructif (mais des généralisations qui pourront paraître abusives et des propos qui relèvent un peu trop souvent plus du jugement que de la pure analyse critique; on pourra également regretter un style nettement perfectible).

Ce qui a surtout retenu mon attention: la French Theory n'est pas l'alpha et l'omega des racines du wokisme, Herbert Marcuse l'a précédée.

Très (trop) succinctement:

Chez les wokes* la négation dialectique est devenue fin en soi et ils incarnent la figure du dissident éternel dressé contre le fascisme toujours imminent (Marcuse: pour empêcher le retour du fascisme, son obsession, il faut créer les conditions de la révolution en créant un nouveau prolétariat car le consumérisme a endormi l'autre: à son époque, les Noirs non embourgeoisés qu'il fallait éduquer à une conscience de classe).

La "triade du dissident" - le monde est mauvais/je suis contre le monde/je suis bon - explique cet enfermement dans la négation activiste chez les wokes: l'acceptation de deux de ses termes implique l'acceptation du troisième:
-Le monde est mauvais, je suis contre le monde, donc je suis bon.
-Le monde est mauvais, je suis bon, donc je suis contre le monde.
-Je suis bon, le monde est mauvais, donc je suis contre le monde.
Etc.

Pour les wokes, être, c'est être" contre", être "anti-", ou alors ne pas être. Idem pour penser, définir, parler, agir. Leur victoire serait leur échec, il est impératif pour eux que le fascisme menace partout et toujours. Solution: il est systémique, on peut donc extrême-droitiser tous les adversaires. Et la production de nouveaux dominés** remplacera ceux dont la situation s'est améliorée. La domination n'a pas de fin ni, en conséquence, l'allongement de l'acronyme LGBTQ...

Dans une logique marcusienne grippée, bloquée sur le moment de la négation mais également convaincue que le fascisme est partout (chez les Blancs), le wokisme ne défendrait pas les minorités mais s'en servirait pour détruire les normes occidentales (blanches) seulement (on ne défend donc pas les femmes iraniennes ou, ajouterais-je, les victimes israéliennes du 7 octobre). Et la préférence pour telle ou telle minorité dépendrait de son pouvoir déconstructionniste: ainsi, dans les marches des fiertés, les racisés devant et les Blancs derrière ou, désormais, l'avantage des Trans sur les femmes, à leur tour fascisées quand elles s'opposent au transactivisme.

(*): « Ça y est : on sait ! le wokisme n'existe pas ! – Comment le sais-tu ? – C'est un woke qui me l'a dit. » (Xavier Gorce, dessinateur cité par l'auteur)
(**): Un inépuisable vivier électoral pour les gauches "progressistes" et les extrêmes gauches de tout poil; du pain béni pour les commissaires du peuple des milieux académiques et d'un certain journalisme (Médiapart,...).

Un essai remarquable sur un objet omniprésent dans le débat public et pourtant difficile à cerner, le wokisme. le sujet est traité dans une perspective très large, mêlant notamment un travail de généalogie, des analyses très fines de l'idéologie du mouvement et de ses contradictions internes, et des considérations psychologiques plus subjectives mais pertinentes à mes yeux. Tout ceci devrait contribuer à faire de ce livre la référence sur le sujet.

L'auteur fait montre d'une somme de talents impressionnants pour son jeune âge : rigueur, aisance conceptuelle, érudition, honnêteté intellectuelle, le tout servi par de belles trouvailles stylistiques. Une nouvelle plume bienvenue dans le débat public français, et dont nous attendons avec impatience les prochains ouvrages.

Avec son anglicisme "woke" qui signifie éveil le titre est trompeur :
l'éveil, par essence c'est l'enseignement du bouddhisme qui est une discipline philosophique de maîtrise de l'esprit conduisant à une paix universelle d'abolition des souffrances.
Mais c'est le contraire dans cet essai où la mouvance "woke" identifiée comme "wokisme" suscite colère et peur et nous plonge dans une sorte de chaos mental.
Pour mieux comprendre il est utile de lire https://www.babelio.com/livres/Mounk-Le-piege-de-lidentite--Comment-une-idee-progress/1576768
Effectivement les nouveaux usages des réseaux sociaux et certains mécanismes GAFAM ont catalysé l'émergence du "wokisme".
Et pour la solution finale au delà des "spirales de pureté" autodestructrices sans issue il y aurait possiblement un retour vers des valeurs religieuses ou nationales.
Bref, en cultivant autant de ressentiments et de mauvais penchants le vivre ensemble se complique.
Au demeurant Yascha Mounk donne l'éveil bouddhiste comme piste mais Pierre Valentin n'en pipe pas mot, du coup, son discours "woke" reste obscur, au final, aucun des deux ne semble se soucier des milliards d'illettrés qui n'ont pas d'identité numérique et sont donc privés de citoyenneté numérique :
c'est quand même une énorme communauté potentiellement "woke" dont on devrait préparer l'éveil.