C'est un roman dans lequel j'ai mis longtemps à rentrer , mais une fois cela fait, je me suis régalée. Car ce n'est pas uniquement une histoire d'amitié féminine, mais bien un
roman social, politique , un constat amer sur ce que l'Amérique est en train de devenir, sur les classes moyennes qui perdent peu à peu leurs avantages, sur les pauvres qu'on maintient encore plus pauvres, et sur les privilégiés qui s'en sortent toujours...
Lorsque Sam rencontre Elisabeth, personne n'aurait pu prédire qu'elles deviendraient amies, jusqu'à se faire des confidences qu'elles ne font à personne. Sam est étudiante, elle postule pour le job de baby-sitter, ou nounou quelques jours par semaine du bébé d'Elisabeth. Elles n'ont pas le même âge. Alors que Sam est en couple (à distance) avec un londonien, Elisabeth est mariée. Sam est étudiante dans une université non-mixte, elle a fait un emprunt pour payer ses études, "qu'elle remboursera toute sa vie" dit-elle, malgré le fait qu'elle travaille , année scolaire comme aux vacances. Elisabeth vient d'une famille très riche, et a déjà réussi sa vie professionnelle - elle est journaliste et a écrit deux livres dont le premier a été un véritable succés .
Seulement voilà : elles se rencontrent, chacune, à un carrefour de leurs vies : Elisabeth a une panne d'écriture, elle regrette d'avoir quitté New York pour s 'enterrer dans une petite ville près de ses beaux-parents, elle n'a pas d'amis, trouve tout le monde bête ou ringard. Et Sam, se voit mise sous pression par son petit-ami qui voudrait construire (et donc, qu'elle quitte tout pour lui).
Sam va être gentiment fascinée par Elisabeth, sa réussite tranquille, sa classe, son bon goût, jusqu'à finir par comprendre qu'Elisabeth et elle, ne viennent pas du même milieu social. Elle va se mettre à observer les conditions de vie de ses collégues au self de son université et celles de ses cothurnes de milieux très aisés, elles.
Une entrée dans le monde adulte pour l'une, qui nous parait loin de notre univers étudiant français ( fac de filles) . Une écrivaine dont les "malheurs" et interrogations peuvent paraître dérisoires à certaines lectrices et qui de ce fait, n'est pas de prime abord , sympathique : voilà une mise en bouche qui n'est pas des plus faciles pour rentrer en empathie, tout de suite, avec les personnages. Courtney Sullivan opére une mise à distance qui me fait dire que c'est tout sauf une auteure complaisante, "raccoleuse", facile.
Mais petit à petit, au rythme des découvertes de Sam, et dés que le beau-père d'Elisabeth commence à parler de sa théorie de " L'arbre creux", j'ai adoré ! Parce que ce roman très sobre, très nuancé, nous raconte l'Amérique nous parle d'argent et de politique avec beaucoup de finesse.
Cette histoire se termine tel qu'elle se terminerait dans la vraie vie. de façon très réaliste. A la fin , quand la lectrice fait le bilan de ce que les personnages sont devenus, ce qu'ils ont obtenu de la vie, on se dit qu'on aurait pu le prédire... Ça s'appelle , le déterminisme social et c'est plus clair quand une auteure de talent met le doigt dessus, grossit certains destins à la loupe.
Une histoire d'amitié, mais pas que...
Brillant, sobre, intelligent, percutant , comme un polaroïd d'une époque," la fin de l'American Dream".
PS : le titre en VO est" Friends and Strangers " le titre français fait allusion à celui de
Goethe :
Les Affinités électives , dans lequel
Goethe démontre que les relations entre êtres humains sont comparables à celles qu'on trouve entre les substances chimiques. Telle combinaison impliquant telle réaction... Les deux titres correspondent parfaitement au contenu de ce roman...