C'est une belle après midi de Juillet, ou tout autre mois ensoleillé et suffisamment tiède pour se sentir en été si vous préférez. Une légère brise courbe à peine les tiges des hautes herbes, les faisant ondoyer comme un parterre de supporters effectuant une Hola au Parc des Princes. Les oiseaux mêlent leurs chants dans un ensemble parfait. Comment font-ils pour s'accorder si bien lorsqu'on sait qu'un simple orchestre de six musiciens peine à garder le tempo? Là, juste devant nous, un large chêne déploie ses branches comme autant d'invitations à s'allonger sous son ombre. Dos au tronc, certains sommeillent, d'autres pensent, il y a en qui rêvent à des mondes meilleurs ou des amours simples et heureuses. Mais il y a toujours quelqu'un ou quelqu'une qui ouvre un bouquin. Un léger clapotis trouble la quiétude de lieux résolument bucoliques : un ruisseau serpente à quelques mètres et nous chante sa chanson.
Celle qu'
Elisée Reclus lui a accordé en un hymne inégalé depuis 150 ans.
Le personnage principal de cette ode est un simple ruisseau des montagnes. En vingt chapitres, le célèbre anarchiste se lance dans une longue description, de sa source jusqu'à son estuaire, via le majestueux fleuve dans lequel il se noie. La prose de cet idéaliste typique du XIX° siècle coule comme les eaux vives d'un torrent sauvage. C'est aussi un alcool et il convient de ne point trop en abuser. Je conseille aux avides lecteurs de se limiter à un ou deux chapitres à la fois. le portrait de ces flots peut facilement devenir indigeste et c'est là la seule limite du livre.
La plume est légère comme l'air à condition de n'en pas abuser outre mesure. Ces divagations champêtres peuvent être lourdes à digérer. Trop de couleurs nuit à la couleur disait le peintre.
Bien connu pour ses positions anarchiques,
Elisée Reclus étonne dans ce long poème dédié à la lenteur, la simplicité et la modicité d'un délicat et réservé cours d'eau. Small is beautiful.
Premier livre écologiste? Presque. Parce que, signe des temps, Elisée, dans ses envolées lyriques sur le progrès de la science et une certaine naïveté dans la bonté humaine, croit en un monde meilleur. Nous sommes dans cette fabuleuse décennie (1860/1870) où tout semblait permis : les machines allaient affranchir l'homme de son dur labeur, une meilleure hygiène viendrait à bout de toutes maladies, la fée électricité illuminer l'avenir d'un monde où nous serions tous frères, abolissant ainsi toute velléité de conflits aux nationalismes dépassés.
Il y a bien sûr quelques bémols dans cette utopie vue au travers d'une eau particulièrement claire. Reclus reconnait que la condition de l'homme modeste reste difficile s'il ne parvient pas à se mutualiser (peuples de la terre, unissez-vous!) et propose une vision noire mais bien réelle d'eaux salies, corrompues, polluées par la ville.
Hormis ces quelques pages plus sombres,
Histoire d'un ruisseau est un formidable hymne à ce qui est la base de la vie et notre principal constituant : l'eau courante. Nos sociétés occidentales dites évoluées ont perdu cette vénération et ce respect que, du Japon aux Amérindiens, les peuples du monde vouent à cette source de vie.
Ce récit de la vie d'un ruisseau est rafraichissant comme un grand verre d'eau salvatrice - mieux : cette eau limpide qu'on aspire à la source ou la fontaine du petit village au creux de ses mains. Chers amis, prenez et buvez-en tous.