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EAN : 9782844853479
95 pages
Allia (15/04/2010)
3.7/5   15 notes
Résumé :
Les bouleversements littéraires les plus féconds sont parfois les plus discrets. Les thèmes et événements dont il est question dans ce récit se retrouvent dans d’autres textes de Nerval. Mais ici, c’est la ville qui est l’affrontement principal. Vingt-six sections brèves, chacune accrochée à un lieu, des Halles en pleine nuit, d’un café de hasard, ou la traversée de Pantin, ou la rencontre avec ce gendarme qui met l’auteur en prison pour défaut de passeport. Mais, à... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Gérard de Nerval nous raconte sont voyage vers… le département voisin.

Nous sommes face à un récit de voyage d'un trajet très court, mais finalement assez épique… sans rien dévoiler (enfin juste un petit peu) il aura affaire en vrac : à des policiers, à l'administration, à une tempête, bref en un mot il a la poisse.

Le point fort de cet ouvrage est son style (pas le passage par Meaux, ça je m'en fiche…) : tout nous est raconté comme parfaitement extraordinairement normal (hum). Il y a une fluidité, une limpidité que je trouve fascinante dans ce texte. Il est court et découpé en chapitres très courts (notamment dus à la parution dans « L'Illustration » magazine du XIXè). Ca se lit vraiment très vite… mais c‘est un bon moment de lecture par exemple pour une nuit d'octobre un peu trop fraiche…

Je possède ce texte chez Allia poche : vous savez ces tout petits livres qui nous font de l'oeil en étant trop adorables… et qui rassemble des textes de grands auteurs paru en dehors de leurs oeuvres « canons », ce que je trouve très louable.
Je souligne que ce n'est pas un partenariat, j'aime juste vraiment cette collection qui nous présente de chouette pépites ! Mention spéciale pour l'Éloge de Rien qui m'a fait découvrir cette collection et qui m'a bien fait rire !
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De merveilleuses petites proses , trop peu connues, à l'égal des Contes indiens de S.Mallarmée, ou la La Fanfarlo de de Ch.Baudelaire, ou encore les Proses évangélique d' A.Rimbaud.
On pourrait citer Giaccomo Joyce de J.Joyce...
Quand on veut aller loin, on voyage léger, non?
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Récit étrange, délirant que sont Les Nuits d'octobreDe Nerval où le réalisme est pourfendu par des anecdotes qui nous apparaissent comme anodines. C'est le triomphe du quotidien sur les récits épiques. On a bien du mal à en tirer quelque chose de ce petit texte sans y repasser plusieurs fois. Encore heureux qu'il ne fasse que 55 pages. le synopsis ? Il n'y en a pas ! Ou presque : le premier chapitre explique que le narrateur va parler de ses nuits parisiennes à la façon d'une théorie de Dickens. Pas de fil conducteur à la française nous dit-on, juste le fait de raconter une histoire sans fil rouge. Sans temporalité fixe, sans repère palpable. Derrière une description simple de la vie nocturne de Paris, on se retrouve plongé dans l'univers carnavalesque et angoissant De Nerval. Ce texte a été très apprécié des Breton et Queneau. En effet, on a beaucoup de mal à lui coller une étiquette tant l'intrigue oscille entre fantastique et surréalisme.
Lien : http://biblio.anassete.org/?..
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Superbe oeuvre de l'auteur qui nous conte ses peripeties entre la seine et marne et l'oise actuelle: un récit agréable, bien écrit qui en fait une superbe nouvelle !
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
XXI

LA FEMME MÉRINOS

… Je m’arrête. Le métier de réaliste est trop dur à faire. La lecture d’un article de Charles Dickens est pourtant la source de ces divagations !… Une voix grave me rappelle à moi-même.

Je viens de tirer de dessous plusieurs journaux parisiens et marnois un certain feuilleton d’où l’anathème s’exhale avec raison sur les imaginations bizarres qui constituent aujourd’hui l’école du vrai.

Le même mouvement a existé après 1830, après 1794, après 1716 et après bien d’autres dates antérieures. Les esprits, fatigués des conventions politiques ou romanesques, voulaient du vrai à tout prix.

Or, le vrai, c’est le faux, — du moins en art et en poésie. Quoi de plus faux que l’Iliade, que l’Énéide, que la Jérusalem délivrée, que la Henriade ? que les tragédies, que les romans ?…

— Eh bien, moi, dit le critique, j’aime ce faux. Est-ce que cela m’amuse, que vous me racontiez votre vie pas à pas, que vous analysiez vos rêves, vos impressions, vos sensations ?… Que m’importe que vous ayez couché à la Sirène, chez le Vallois ? Je présume que cela n’est pas vrai, ou bien que cela est arrangé. Vous me direz d’aller y voir… Je n’ai pas besoin de me rendre à Meaux ! Du reste, les mêmes choses m’arriveraient, que je n’aurais pas l’aplomb d’en entretenir le public. Et d’abord est-ce que l’on croit à cette femme aux cheveux de mérinos ?

Je suis forcé d’y croire ; et plus sûrement encore que les promesses de l’affiche. L’affiche existe, mais la femme pourrait ne pas exister… Eh bien, le saltimbanque n’avait rien écrit que de véritable :

La représentation a commencé à l’heure dite. Un homme assez replet, mais encore vert, est entré en costume de Figaro. Les tables étaient garnies en partie par le peuple de Meaux, en partie par les cuirassiers du 6e.

M. Montaldo, — car c’était lui, — a dit avec modestie :

— Signori, ze vais vi faire entendre le grand aria di Figaro.

Il commence :

— Tra de ra la, de ra la, de ra la, ah !…

Sa voix, un peu usée, mais encore agréable, était accompagnée d’un basson.

Quand il arriva au vers : Largo al, fattotum della cità ! je crus devoir me permettre une observation. Il prononçait cita. Je dis tout haut : Tchita ! ce qui étonna un peu les cuirassiers et le peuple de Meaux. Le chanteur me fit un signe d’assentiment, et, quand il arriva à cet autre vers : « Figaro-ci, Figaro-là… », il eut soin de prononcer tchi. — J’étais flatté de cette attention.

Mais, en faisant sa quête, il vint à moi et me dit (je ne donne pas ici la phrase patoisée) :

— On est heureux de rencontrer des amateurs instruits… ma ze souis de Tourino, et, à Tourino, nous prononçons ci. Vous aurez entendu le tchi à Rome ou à Naples ?

— Effectivement !… Et votre Vénitienne ?

— Elle va paraître à neuf heures. En attendant, je vais danser une cachucha avec cette jeune personne que j’ai l’honneur de vous présenter.

La cachucha n’était pas mal, mais exécutée dans un goût un peu classique… Enfin, la femme aux cheveux de mérinos parut dans toute sa splendeur. C’étaient effectivement des cheveux de mérinos. Deux touffes, placées sur le front, se dressaient en cornes. — Elle aurait pu se faire faire un châle de cette abondante chevelure. Que de maris seraient heureux de trouver dans les cheveux de leurs femmes cette matière première qui réduirait le prix de leurs vêtements à la simple main-d’œuvre !

La figure était pâle et régulière. Elle rappelait le type des vierges de Carlo Dolci. Je dis à la jeune femme :

— Sete voi Veneziana ?

Elle me répondit :

— Signor, si.

Si elle avait dit : Si, signor, je l’aurais soupçonnée Piémontaise ou Savoyarde ; mais, évidemment, c’est une Vénitienne des montagnes qui confinent au Tyrol. Les doigts sont effilés, les pieds petits, les attaches fines ; elle a les yeux presque rouges et la douceur d’un mouton ; sa voix même semble un bêlement accentué. Les cheveux, si l’on peut appeler cela des cheveux, résisteraient à tous les efforts du peigne. C’est un amas de cordelettes comme celles que se font les Nubiennes en les imprégnant de beurre. Toutefois, sa peau étant d’un blanc mat irrécusable et sa chevelure d’un marron assez clair (voir l’affiche), je pense qu’il y a eu croisement ; un nègre, Othello peut-être, se sera allié au type vénitien, et, après plusieurs générations, ce produit local se sera révélé.

Quant à l’Espagnole, elle est évidemment originaire de Savoie ou d’Auvergne, ainsi que M. Montaldo.

Mon récit est terminé. « Le vrai est ce qu’il peut », comme disait M. Dufougeray. J’aurais pu raconter l’histoire de la Vénitienne, de M. Montaldo, de l’Espagnole, et même du basson. Je pourrais supposer que je me suis épris de l’une ou de l’autre de ces deux femmes, et que la rivalité du saltimbanque ou du basson m’a conduit aux aventures les plus extraordinaires. — Mais la vérité, c’est qu’il n’en est rien. L’Espagnole avait, comme je l’ai dit, les jambes maigres ; la femme mérinos ne m’intéressait qu’à travers une atmosphère de fumée de tabac et une consommation de bière qui me rappelait l’Allemagne. — Laissons ce phénomène à ses habitudes et à ses attachements probables.

Je soupçonne le basson, jeune homme assez fluet, noir de chevelure, de ne pas lui être indifférent.
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X

Nuit profonde ! où suis-je ? Au cachot.

Imprudent ! voilà pourtant où t’a conduit la lecture de l’article anglais intitulé la Clef de la rue… Tâche maintenant de découvrir la clef des champs !

La serrure a grincé, les barres ont résonné. Le geôlier m’a demandé si j’avais bien dormi :

— Très-bien ! très-bien !

Il faut être poli.

— Comment sort-on d’ici ?

— On écrira à Paris, et, si les renseignements sont favorables, au bout de trois ou quatre jours…

— Est-ce que je pourrais causer avec un gendarme ?

— Le vôtre viendra tout à l’heure.

Le gendarme, quand il entra, me parut un dieu. Il me dit :

— Vous avez de la chance.

— En quoi ?

— C’est aujourd’hui jour de correspondance avec Senlis, vous pourrez paraître devant le substitut. Allons, levez-vous.

— Et comment va-t-on à Senlis ?

— À pied ; cinq lieues, ce n’est rien.

— Oui mais s’il pleut…, entre deux gendarmes, sur des routes détrempées…

— Vous pouvez prendre une voiture.

Il m’a bien fallu prendre une voiture. Une petite affaire de onze francs ; deux francs à la pistole ; — en tout, treize. — Ô fatalité !

Du reste, les deux gendarmes étaient très-aimables, et je me suis mis fort bien avec eux sur la route en leur racontant les combats qui avaient eu lieu dans ce pays du temps de la Ligue. En arrivant en vue de la tour de Montépilloy, mon récit devint pathétique, je peignis la bataille, j’énumérai les escadrons de gens d’armes qui reposaient sous les sillons ; — ils s’arrêtèrent cinq minutes à contempler la tour, et je leur expliquai ce que c’était qu’un château fort de ce temps-là.

Histoire ! archéologie ! philosophie ! Vous êtes donc bonnes à quelque chose.

Il fallut monter à pied au village de Montépilloy, situé dans un bouquet de bois. Là, mes deux braves gendarmes de Crespy m’ont remis aux mains de ceux de Senlis, et leur ont dit :

— Il a pour deux jours de pain dans le coffre de la voiture.

— Si vous voulez déjeuner ? m’a-t-on dit avec bienveillance.

— Pardon, je suis comme les Anglais, je mange très-peu de pain.

— Oh ! l’on s’y fait.

Les nouveaux gendarmes semblaient moins aimables que les autres, l’un d’eux me dit :

— Nous avons encore une petite formalité à remplir.

Il m’attacha des chaînes comme à un héros de l’Ambigu, et ferma les fers avec deux cadenas.

— Tiens, dis-je, pourquoi ne m’a-t-on mis des fers qu’ici ?

— Parce que les gendarmes étaient avec vous dans la voiture, et que nous, nous sommes à cheval.

Arrivés à Senlis, nous allâmes chez le substitut, et, étant connu dans la ville, je fus relâché tout de suite. L’un des gendarmes m’a dit :

— Cela vous apprrendra à oublier votrre passe-porrt une autre fois quand vous sorrtirrez de votrre déparrtement.

Avis au lecteur. — J’étais dans mon tort… Le substitut a été fort poli, ainsi que tout le monde. Je ne trouve de trop que le cachot et les fers. Ceci n’est pas une critique de ce qui se passe aujourd’hui. Cela s’est toujours fait ainsi. Je ne raconte cette aventure que pour demander que, comme pour d’autres choses, on tente un progrès sur ce point. — Si je n’avais pas parcouru la moitié du monde, et vécu avec les Arabes, les Grecs, les Persans, dans les khans des caravansérails et sous les tentes, j’aurais eu peut-être un sommeil plus troublé encore, et un réveil plus triste, pendant ce simple épisode d’un voyage de Meaux à Creil.

Il est inutile de dire que je suis arrivé trop tard pour la chasse à la loutre. Mon ami le limonadier, après sa chasse, était parti pour Clermont afin d’assister à un enterrement. Sa femme m’a montré la loutre empaillée, et complétant une collection de bêtes et d’oiseaux du Valois, qu’il espère vendre à quelque Anglais.

Voilà l’histoire fidèle de trois nuits d’octobre, qui m’ont corrigé des excès d’un réalisme trop absolu ; — j’ai du moins tout lieu de l’espérer.

Loges
Ο μή όράων, aveugle.
Fils de maître, selon les termes du compagnonnage.
Sois fort et hardi ; on ne descend ici que par de tels escaliers.
Ceci est un chapitre dans le goût allemand. Les gnomes sont de petits êtres appartenant à la classe des esprits de la terre, qui sont attachés au service de l’homme, ou du moins que leur sympathie conduit parfois à être utile (Voir les légendes recueillies par Simrock.)
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V

LES NUITS DE LONDRES

— Eh bien, si nous ne soupons pas dans la haute, dit mon ami, je ne sais guère où nous irions à cette heure-ci. Pour la Halle, il est trop tôt encore. J’aime que cela soit peuplé autour de moi. Nous avions récemment, au boulevard du Temple, dans un café près de l’Épi-Scié, une combinaison de soupers à un franc, où se réunissaient principalement des modèles, hommes et femmes, employés quelquefois dans les tableaux vivants ou dans les drames et vaudevilles à poses. Des festins de Trimalcion comme ceux du vieux Tibère à Caprée. On a encore fermé cela.

— Pourquoi ?

— Je le demande. Es-tu allé à Londres ?

— Trois fois.

— Eh bien, tu sais la splendeur de ses nuits, auxquelles manque trop souvent le soleil d’Italie ? Quand on sort de Majesty-Theater, ou de Drury-Lane, ou de Covent-Garden, ou seulement de la charmante bonbonnière du Strand dirigée par madame Céleste, l’âme excitée par une musique bruyante ou délicieusement énervante (oh ! les Italiens !), par les facéties de je ne sais quel clown, par des scènes de boxe que l’on voit dans des box[1]…, l’âme, dis-je, sent le besoin, dans cette heureuse ville où le portier manque, où l’on a négligé de l’inventer, de se remettre d’une telle tension. La foule alors se précipite dans les bœuf-maisons, dans les huître-maisons, dans les cercles, dans les clubs et dans les saloons !

— Que m’apprends-tu là ! Les nuits de Londres sont délicieuses ; c’est une série de paradis ou une série d’enfers, selon les moyens qu’on possède. Les gin-palace (palais de genièvre) resplendissants de gaz, de glaces et de dorures, où l’on s’enivre entre un pair d’Angleterre et un chiffonnier… Les petites filles maigrelettes qui vous offrent des fleurs. Les dames des wauxhalls et des amphithéâtres, qui, rentrant à pied, vous coudoient à l’anglaise, et vous laissent éblouis d’une désinvolture de pairesse ! Des velours, des hermines, des diamants, comme au théâtre de la Reine !… De sorte que l’on ne sait si ce sont les grandes dames qui sont des…

— Tais-toi !
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XX

RÉFLEXIONS

Recomposons nos souvenirs.

Je suis majeur et vacciné ; mes qualités physiques importent peu pour le moment. Ma position sociale est supérieure à celle du saltimbanque d’hier au soir ; et décidément, sa Vénitienne n’aura pas ma main.

Un sentiment de soif me travaille.

Retourner au café de Mars à cette heure, ce serait vouloir marcher sur les fusées d’un feu d’artifice éteint.

D’ailleurs, personne n’y peut être levé encore. — Allons errer sur les bords de la Marne et le long de ces terribles moulins à eau dont le souvenir a troublé mon sommeil.

Ces moulins, écaillés d’ardoises, si sombres et si bruyants au clair de lune, doivent être pleins de charmes aux rayons du soleil levant.

Je viens de réveiller les garçons du Café du Commerce. Une légion de chats s’échappe de la grande salle de billard, et va se jouer sur la terrasse parmi les thuyas, les orangers et les balsamines roses et blanches. — Les voilà qui grimpent comme des singes le long des berceaux de treillage revêtus de lierre.

Ô nature, je te salue !

Et, quoique ami des chats, je caresse aussi ce chien à longs poils gris qui s’étire péniblement. Il n’est pas muselé. — N’importe ; la chasse est ouverte.

Qu’il est doux pour un cœur sensible de voir lever l’aurore sur la Marne, à quarante kilomètres de Paris !

Là-bas, sur le même bord, au delà des moulins, est un autre café non moins pittoresque, qui s’intitule Café de l’Hôtel-de-Ville (sous-préfecture). Le maire de Meaux, qui habite tout près, doit, en se levant, y reposer ses yeux sur les allées d’ormeaux et sur les berceaux d’un vert glauque qui garnissent la terrasse. On admire là une statue en terre cuite de la Camargo, grandeur naturelle, dont il faut regretter les bras cassés. Ses jambes sont effilées comme celles de l’Espagnole d’hier — et des Espagnoles de l’Opéra.

Elle préside à un jeu de boules.

J’ai demandé de l’encre au garçon. Quant au café, il n’est pas encore fait. Les tables sont couvertes de tabourets ; j’en dérange deux ; et je me recueille en prenant possession d’un petit chat blanc qui a les yeux verts.

On commence à passer sur le pont ; j’y compte huit arches. La Marne est marneuse naturellement ; mais elle revêt maintenant des teintes plombées que rident parfois les courants qui sortent des moulins, ou plus loin les jeux folâtres des hirondelles.

Est-ce qu’il pleuvra ce soir ?

Quelquefois, un poisson fait un soubresaut qui ressemble, ma foi, à la cachucha éperdue de cette demoiselle bronzée que je n’oserais qualifier de dame sans plus d’informations.

Il y a en face de moi, sur l’autre bord, des sorbiers à grains de corail du plus bel effet : sorbier des oiseaux, — aviaria. — J’ai appris cela quand je me destinais à la position de bachelier dans l’Université de Paris.
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X

LE RÔTISSEUR

Ô jeune fille à la voix perlée ! tu ne sais pas phraser comme au Conservatoire ; tu ne sais pas chanter, ainsi que dirait un critique musical… Et pourtant ce timbre jeune, ces désinences tremblées à la façon des chants naïfs de nos aïeules, me remplissent d’un certain charme ! Tu as composé des paroles qui ne riment pas et une mélodie qui n’est pas carrée ; et c’est dans ce petit cercle seulement que tu es comprise et rudement applaudie. On va conseiller à ta mère de t’envoyer chez un maître de chant, et, dès lors, te voilà perdue… perdue pour nous ! Tu chantes au bord des abîmes, comme les cygnes de l’Edda. Puissé-je conserver le souvenir de ta voix si pure et si ignorante, et ne t’entendre plus, soit dans un théâtre lyrique, soit dans un concert, ou seulement dans un café chantant !

Adieu, adieu, et pour jamais adieu !… Tu ressembles au séraphin doré du Dante, qui répand un dernier éclair de poésie sur les cercles ténébreux dont la spirale immense se rétrécit toujours, pour aboutir à ce puits sombre où Lucifer est enchaîné jusqu’au jour du dernier jugement.

Et maintenant, passez autour de nous, couples souriants ou plaintifs,… « spectres où saigne encore la place de l’amour ! » Les tourbillons que vous formez s’effacent peu à peu dans la brume… La Pia, la Francesca, passent peut-être à nos côtés… L’adultère, le crime et la faiblesse se coudoient, sans se reconnaître, à travers ces ombres trompeuses.

Derrière l’ancien cloître Saint-Honoré, dont les débris subsistent encore, cachés par les façades des maisons modernes, est la boutique d’un rôtisseur ouverte jusqu’à deux heures du matin. Avant d’entrer dans l’établissement, mon ami murmura cette chanson colorée :


À la Grand’Pinte, quand le vent
Fait grincer l’enseigne en fer-blanc
Alors qu’il gèle,
Dans la cuisine, on voit briller
Toujours un tronc d’arbre au foyer,
Flamme éternelle,

Où rôtissent en chapelets,
Oisons, canards, dindons, poulets,
Au tournebroche !
Et puis le soleil jaune d’or,
Sur les casseroles encor,
Darde et s’accroche !


Mais ne parlons pas du soleil, il est minuit passé.

Les tables du rôtisseur sont peu nombreuses ; elles étaient toutes occupées.

— Allons ailleurs, dis-je.

— Mais, auparavant, répondit mon ami, consommons un petit bouillon de poulet. Cela ne peut suffire à nous ôter l’appétit, et, chez Véry, cela coûterait un franc ; ici c’est dix centimes. Tu conçois qu’un rôtisseur qui débite par jour cinq cents poulets en doit conserver les abatis, les cœurs et les foies, qu’il lui suffit d’entasser dans une marmite pour faire d’excellents consommés.

Les deux bols nous furent servis sur le comptoir et le bouillon était parfait. Ensuite on suce quelques écrevisses de Strasbourg grosses comme de petits homards. Les moules, la friture, et les volailles découpées jusque dans les prix les plus modestes, composent le souper ordinaire des habitués.

Aucune table ne se dégarnissait. Une femme d’un aspect majestueux, type habillé des néréides de Rubens ou des bacchantes de Jordaens, donnait, près de nous, des conseils à un jeune homme.

Ce dernier, élégamment vêtu, mince de taille, et dont la pâleur était relevée par de longs cheveux noirs et de petites moustaches soigneusement tordues et cirées aux pointes, écoutait avec déférence les avis de l’imposante matrone. On ne pouvait guère lui reprocher qu’une chemise prétentieuse à jabot de dentelle et à manchettes plissées, une cravate bleue et un gilet d’un rouge ardent croisé de lignes vertes. Sa chaîne de montre pouvait être en chrysocale, son épingle en strass du Rhin ; mais l’effet en était assez riche aux lumières.

— Vois-tu, muffeton, disait la dame, tu n’es pas fait pour ce métier-là, de vivre la nuit. Tu t’obstines, tu ne pourras pas ! Le bouillon de poulet te soutient, c’est vrai ; mais la liqueur t’abîme. Tu as des palpitations, et les pommettes rouges le matin. Tu as l’air fort, parce que tu es nerveux… Tu ferais mieux de dormir à cette heure-ci.

— De quoi ? observa le jeune homme avec cet accent des voyous parisiens qui semble un râle, et que crée l’usage précoce de l’eau-de-vie et de la pipe : est-ce qu’il ne faut pas que je fasse mon état ? C’est les chagrins qui me font boire : pourquoi est-ce que Gustine m’a trahi !

— Elle t’a trahi sans te trahir… C’est une baladeuse, voilà tout.

— Je te parle comme à ma mère : si elle revient, c’est fini, je me range. Je prends un fonds de bimbeloterie. Je l’épouse.

— Encore une bêtise !

— Puisqu’elle m’a dit que je n’avais pas d’établissement !

— Ah ! jeune homme, cette femme-là, ça sera ta mort.

— Elle ne sait pas encore la roulée qu’elle va recevoir !

— Tais-toi donc ! dit la femme-Rubens en souriant, ce n’est pas toi qui es capable de corriger une femme !

Je n’en voulus pas entendre davantage. Jean-Jacques avait bien raison de s’en prendre aux mœurs des villes d’un principe de corruption qui s’étend plus tard jusqu’aux campagnes. À travers tout cela, cependant, n’est-il pas triste d’entendre retentir l’accent de l’amour, la voix pénétrée d’émotion, la voix mourante du vice, à travers la phraséologie de la crapule ?

Si je n’étais sûr d’accomplir une des missions douloureuses de l’écrivain, je m’arrêterais ici ; mais mon ami me dit comme Virgile à Dante :

— Or sie forte ed ardito ; omai si scende per i fatte scale…[4]

À quoi je répondis sur un air de Mozart :

— Andiam ! andiam ! andiamo bene !

— Tu te trompes ! reprit-il, ce n’est pas là l’enfer ; c’est tout au plus le purgatoire. Allons plus loin.
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