« – Alors dis-moi, tu veux quoi ? Pouvoir me dire que pour toi non plus, même à cinq mille bornes, ça n'a pas été facile ? Mais je les connais, les raisons de ton départ, à la limite je les comprends ; le truc, c'est que moi, j'ai même pas eu la possibilité de faire pareil, fallait bien qu'il en ait un qui soit adulte. Alors, oui, t'as morflé, y manquerait plus que ça. Mais tout ça c'est du flan, y s'agit juste de savoir ce que ça t'a appris, si ça a été utile pour forger l'homme que t'es. Alors viens pas me quémander mon pardon. J'en ai chié, crois-moi, je t'ai maudit, j'ai pas pigé, j'ai même prié pour que tu reviennes. »
Benoît Minville fait une entrée fracassante dans la collection Série Noire de Gallimard. S'il squatte les tables des libraires en compagnie de
Lansdale, Himes ou
Nisbet, c'est bien mérité : son roman est très, très bon. ( Et en plus, j'avoue être tombée de ma chaise à la fin, je n'avais absolument pas vu venir le fin mot de l'histoire.)
J'ai aimé l'histoire d'amitié adolescente, la complicité, les jalousies et les fanfaronnades propres à l'âge. Sujet universel, nous pouvons tous nous y retrouver, d'une façon ou d'une autre, quel que soit l'endroit où nous avons grandi (et je parle en connaissance de cause).
Le film de l'été qui se déroule en plan arrière du fil narratif est drôle, émouvant, violent et tendre à la fois. La tension augmente au fur et à mesure que la chaleur de l'été progresse, pour finir par éclater violemment et envoyer des projectiles des années plus tard, jusqu'au moment du retour de Romain parmi les siens.
J'ai aimé la finesse avec laquelle
Benoît Minville compose le personnage du « revenant » qui se retrouve plongé à la fois dans un passé parfois idéalisé et dans un présent cauchemardesque. Il était difficile de trouver un équilibre, pourtant il est là. Les non-dits, les traumatismes, les amours cachées se dévoilent au fil de la narration en donnant à chaque fois un peu plus de profondeur aux personnages.
J'ai aimé le regard lucide et sans concession que pose l'auteur sur ces parties de la campagne française (ici dans la Nièvre) dont personne ne parle ou si peu. Désertés, abandonnés, orphelins, gangrenés par le chômage, volets définitivement fermés, les territoires en question ont le « défaut » de ne pas se situer sur les grandes axes touristiques ou à proximité immédiate de la cité moderne. Seuls les Hollandais (voir ailleurs les Allemands et autres Britanniques) se réjouissent de ce lâche abandon et profitent pour se payer des retraites paisibles, voir des résidences secondaires qui seront habitées deux mois par an.
« – Ils ont laissé mourir le monde ouvrier, ils font la même chose avec le monde agricole, déclara Chris, légèrement courbé. T'as des communautés des communes qui crèvent au détriment d'autres. Tout est devenu tellement complexe…
– Ça fait des années que je vois les problèmes remplir nos services, la précarité qui se nourrit de l'ennui, et qui tue. Chez nous, le service psychiatrique est complet. Y a un mur que personne ne veut voir. »
Et c'est là qu'intervient la problématique du Choix, élément clé de l'intrigue : partir ou rester. Rester pour quoi faire. Des choix que nous avons tous dû faire à un moment ou un autre.
J'ai été mordue dès les premières pages et vers la fin j'ai même lâché le fameux « nooon ! Il a pas fait çaaa !!?? », c'est dire si ça « poutre » (première fois de ma vie que j'emploie ce verbe)
Vivement le prochain Minville !
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