Extrêmement connue pour son "
Inconnu à cette adresse",
Kressmann Taylor a écrit un autre livre, "
Jour sans retour", plus long, celui-là, et dont on parle trop peu.
Ce livre raconte l'histoire dans les années 30 de Karl, un jeune étudiant en théologie allemand, fils de pasteur, protestant, donc a priori épargné par la fureur anti-juive du IIIè reich. On y découvre la fulgurante de l'instauration du régime nazi, qui dès le départ, s'est infiltré dans toutes les strates du pays pour y faire régner son ordre. Au commencement, il s'agit de convaincre, par un tralala rutilant de démonstration de pouvoir, force costume, force logo (la croix gammée) et des tartines de discours vengeur sur musique pétaradante et iconographie glorioleuse. Y compris dans les plus grandes universités allemandes où régnait le débat, l'échange, la célébration de la pensée. Y compris dans la chrétienté, que ce soit chez les protestants ou chez les catholiques, où l'adoration d'un dieu unique et barbu là-haut dans les cieux avec sa toge blanche fut soudain tournée en ridicule, jugée passéiste, puis vilipendée parce qu'elle osait se parer de misérabilisme et faire concurrence aux dieux guerriers nazis et leur glorieux prophète Adolph.
Certains marchent au truc, ça sonne si bien, l'orateur est impressionnant, le pas de l'oie résonne, les costumes sont beaux, on adhère, on y est… Mais j'ignorais à quel point cette période de séduction a duré peu de temps. A la question "comment le peuple allemand a-t-il pu sombrer dans cette violence cauchemardesque ?", Katherine
Kressmann Taylor répond : le peuple allemand n'a eu le choix que quelques instants. Sitôt une partie du peuple conquise, du cantonnier au grand bourgeois en passant par les notables, la machine s'est mise à accélérer pour le voyage sans retour, comme dit le titre du livre. le fils de pasteur, Karl, constate effaré que dès qu'on lève le plus petit doigt pour afficher un certain désaccord avec des "vérités" que soudain on nous assène, on est écrasé, réduit au silence, puis menacé, et enfin, comme son père qui refuse que son église et son culte soient dénaturés par l'imagerie nazi, envoyé en camp. Dès le début des années 30. Dans ces camps de "rééducation" et de travail, on fait plier les volontés, on écrabouille les personnalités, on affame, on humilie, on punit sévèrement toute rébellion, et ce sont des hommes détruits qui reviennent au foyer. Quant aux femmes, finie la rigolade de faire des études ou de s'affirmer, elles doivent repeupler le pays de beaux enfants blonds et vigoureux, faire autant d'enfants que possible, et par ailleurs, obéir à leur mari.
Ce qui est impressionnant, c'est la vitesse avec laquelle cette dictature s'est infiltrée partout. Finie la séduction, c'est la force et la peur qui règnent. En un claquement de doigt, le monstre était là, partout, tout le temps, comme si le joli flacon ouvragé contenait de l'acide, qui une fois le bouchon sauté, s'est répandu dans la moindre faille pour ronger toute la société. Prévoir que le petit caporal très doué pour enflammer les foules par ses discours revanchards allait peut-être conquérir plus de monde que prévu, c'était possible. Mais qui aurait pu prévoir à quel point les nazis avaient un cahier des charges extrêmement carré qu'ils ont appliqué d'une main de fer, à peine avaient-ils glissé un doigt de pied dans le gouvernement officiel, sans laisser respirer personne, et qu'ils iraient jusqu'au bout de leur démence ?
Il y a eu des partisans, des séduits, des amoureux des passionnés des hystériques du régime nazi, parmi ce fameux peuple. Mais il devait aussi y avoir une pelletée de gens indifférents, qui ne faisaient pas attention, qui vivotaient dans une Allemagne libre mais en crise, au jour le jour. Et qui, s'ils ont froncé les sourcils en étant témoins d'une violence de rue, s'ils ont actionné leur réflexion à propos de choses acceptables et d'autres moins, l'ont fait trop tard. le choix, ils ne l'avaient plus. Réfléchir devenait une activité dangereuse. Sans parler de ceux à la réflexion un peu plus vive, s'opposant franchement, mais sans imaginer une seconde que ce sport leur était désormais interdit et qu'ils risquaient leur vie, tout simplement, à le pratiquer. Est-ce que la phase de séduction a duré une semaine, un mois ? A lire ce livre, on a l'impression qu'en quelques jours, c'était bouclé. C'est en tous cas un document exceptionnel sur les procédés d'une dictature à prendre tout un pays dans un étau à une vitesse inouïe. Ce pan de l'histoire, je ne sais pas si on l'étudie en Allemagne, mais en France, c'est une zone totalement inconnue. Ce livre devrait être lu par tous ceux qui ont le droit de vote. C'est très impressionnant. Si on y joint le très court et percutant "
Inconnu à cette adresse", on a tout en main. Et on peut mieux se méfier de tous ces êtres petits et aigris, cultivant la haine, et prêts à toutes les outrances pour se faire élire parce qu'ils sont persuadés de détenir LA vérité qui sauvera le pays...