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Connaissez-vous ce livre qui raconte l'univers concentrationnaire à travers les yeux d'un garçon de quinze ans ? le récit d'un grand écrivain hongrois, prix Nobel de littérature
« Être sans destin », de Imre Kertész, c'est à lire en poche chez Babel.
La grande désobéissance, c'est de vivre sa vie.
C’était dommage, parce que ce spectacle, ce fumet firent naître dans ma poitrine déjà raidie un sentiment dont les vagues croissantes parvinrent à presser quelques gouttes plus chaudes de mes yeux déjà desséchés dans l’humidité froide qui baignait mon visage. Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bons sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d’une espèce de désir sourd, qui s’était faufilée en moi, comme honteuse d’être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration.
“Je déteste la cécité, les faux espoirs, la vie végétative, les esclaves qui soupirent de bonheur pour peu que le fouet les épargne pendant une journée.”
Le gendarme a fini par se froisser et il a fait la remarque suivante : ‟Sales juifs, vous feriez des affaires avec les choses les plus sacrées!‟ Et d’une voix étranglée par l’indignation et le dégoût, il nous a juste adressé ce souhait : ‟Alors vous pouvez crever de soif!‟ Ce qui a fini par nous arriver.
Et malgré la réflexion, la raison, le discernement, le bon sens, je ne pouvais pas méconnaître la voix d’une espèce de désir sourd, qui s’était faufilée en moi, comme honteuse d’être si insensée, et pourtant de plus en plus obstinée : je voulais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration.
(Babel, p. 259)
Auschwitz, dis-je à ma femme, m'est apparu par la suite comme une exacerbation des vertus qu'on m'inculquait depuis ma prime jeunesse. Oui, c'est alors, durant mon enfance, durant mon éducation qu'a commencé mon impardonnable anéantissement, ma survie jamais survécue, dis-je à ma femme. J'ai pris une part modeste et pas toujours très efficace au complot silencieux ourdi contre ma vie, dis-je à ma femme. Auschwitz, dis-je à ma femme, représente pour moi l'image du père, oui, le père et Auschwitz éveillent en moi les mêmes échos, dis-je à ma femme. Et s'il est vrai que Dieu est un père sublimé, alors Dieu s'est révélé à moi sous la forme d'Auschwitz, dis-je à ma femme.
Le suicide qui me convient le mieux est manifestement la vie.
"- bref, à vrai dire je pensais que nous étions ici au service de la loi.
- Nous sommes au service du pouvoir mon garçon (...)
- Je croyais jusqu'à présent que c'était pareil.
- Si on veut. Mais il ne faut pas oublier les priorités.
- Quelles priorités ?
Et il m'a répondu avec son sourire inimitable:
- D'abord le pouvoir, et ensuite seulement la loi."
Je l'avais déjà entendu dire, et je pouvais désormais en témoigner : en vérité, les murs étroits des prisons ne peuvent pas tracer de limite aux ailes de notre imagination.
Vivre est aussi une façon de se suicider : l’inconvénient, c’est que cela prend énormément de temps.