Une série de nouvelles et bonne surprise : immersion dans les quartiers pauvres grecs . " ça va aller , tu vas voir " car malgré la misère , le manque de nourriture , le travail qui se fait rare , il reste la solidarité , l'entraide , l'amitié , l'espoir . Mao ne dort plus , il veille sur les habitants du quartier depuis la disparition de sa soeur ; certains lui en sont gré , d'autres le pointent du doigt .
Yannis est seul devant le chantier qui lui a ravi son seul ami ; il brandit sa pancarte malgré l'indifférence des passants .
Un petit soldat de plomb qui brave les autorités , qui tient tête aux forces de l'ordre , qui recommence et encaisse les coups comme le petit soldat qu'il est mais il y a son frère qui veille .
Une petite fille qui s'habille en garçon , se fait une moustache , tout ça pour être vue , pour avoir l'estime , pour ne plus être considérée comme le sexe faible .
Toutes les nouvelles ont un fil conducteur : le manque d'argent , de considération , le gouffre entre pauvres et riches qui se creuse inexorablement et qui s'élargit , le besoin de vider la bouteille de tsikoudia pour oublier un peu sa considération .
Seul bémol: le manque de diversité
Merci aux éditions Quidam et à Babelio dans le cadre de " masse critique "
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Titre grec : Kάτι θα γίνει, θα δεις (Quelque chose sera fait, tu verras).
Seize nouvelles sur la vie de tous les jours en Grèce moderne.
J'ai été attiré par le cadre grec, que j'aime tout en sachant que le livre portait sur la grande crise économique du pays… Ce qui est décrit, ce ne sont donc pas les atouts touristiques du pays, mais d'autres, dramatiques voire tragiques : chômage, petits boulots peu payés et parfois finalement pas du tout payés, soins hors de prix, expropriations, avec pour conséquences le désespoir, les addictions, la violence…
On y voit aussi un peu d'amour, de tendresse et d'amitié mais l'ensemble est bien sombre.
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Ces nouvelles d’une certaine manière nous montrent le sens du combat.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Tàkis se souvient de ce qui s’est passé ici ce soir-là rit de nouveau rit aux éclats et à la lumière menteuse de la lampe je vois sa bouche prendre une forme bizarre et les rides au coin de ses yeux ressemblent aux traces de pas que laissent les petits oiseaux sur la terre humide, plein de petites rides, fines crevasses, traces d’oiseaux effrayés envolés.
Je remplis les verres, on boit. […]
Et le boulot mon vieux. Jour et nuits je vois des hommes brisés par le boulot. Des hommes fatigués effrayés. On dirait qu’on ne peut plus travailler sans peur. On dirait qu’on n’est plus payé pour vivre mais pour avoir peur. Et je me dis. Je me dis faut pas que ça m’arrive à moi aussi faut que je résiste et pas me laisser bouffer. Mais comment tenir le coup ? Plus le temps passe moi j’avance tandis que mon cœur et mon cerveau se tournent vers le passé. Et je me dis t va voir qu’un jour on va se perdre nus trois moi mon cœur et mon cerveau. Tu vas voir qu’un jour je perdrai mon cœur et mon cerveau et alors il se passera quoi ? Je ne sais pas quoi. Un jour. Voilà.
Dehors il fait plus noir encore, les rues sont désertes, les vitres gémissent dans le vent.
Mihàlis regarde Vàyos encore debout à la fenêtre et Vàyos lui cligne de l'œil sans sourire met le doigt sur ses lèvres puis sur sa tempe. Il quitte la fenêtre s'assoit face à l'amiral et remplit les verres. Il boit puis se penche en avant et allume une cigarette à la bougie.
Ça porte malheur, dit l'amiral.
L'autre toujours penché sur la bougie le regarde la cigarette entre les dents. Dans la pénombre son visage se remplit d'ombres bizarres effrayantes.
Ça porte malheur d'allumer une cigarette à une bougie. Sur les bateaux on disait que si on le fait un marin va mourir.
Qu'est-ce que ça peut te foutre ? dit Mihàlis. Maintenant que tu as débarqué.
L'amiral relève la tête et nous regarde comme un malade qui sort du coma et cherche à reconnaître ceux qui l'entourent. Ses yeux troubles comme des vitres pleines de buée.
Puis il se penche et souffle la bougie. La flamme vacille va pour s'éteindre puis se remet droite.
Entretemps il y a du nouveau dans le quartier. La semaine dernière la municipalité a distribué ces grandes bennes bleues pour le recyclage une au coin de chaque rue avec des brochures et des sacs spéciaux pour les papiers et les conserves qu’ils disent. Le progrès. Et jeudi soir on était chez Satanas quand l’amiral est venu nous demander si on savait ce qui est arrivé à Sofrònis, celui qui habite à côté de l’école.
Non, a dit Vàyos. Il est mort ?
Il a pété les plombs le malheureux a dit l’amiral. Hier soir mon fils rentrait du boulot et il tombe sur lui en train de se démener pour se glisser dans la poubelle du recyclage. Il est arrivé juste à temps. Qu’est-ce que tu fais là mon vieux Tàssos ? qu’il lui dit. Tu es devenu fou ? Tu veux aller dans les ordures ? Et l’autre qu’est-ce qu’il lui dit ? Laisse-moi Stèfanos. Laisse-moi s’il te plaît. L’homme qui laisse mourir sa femme sans l’aider faut le jeter aux ordures. Laisse-les m’emmener pour me recycler je deviendrai peut-être meilleur. Écoutez les gars. Écoutez ce qui se passe dans le monde. Mon fils a eu un mal fou à le calmer. Après ça il paraît qu’il s’est assis dans un coin en riant tout seul comme un malade. On ne va pas bien du tout. Voilà ce que j’ai à dire. On ne va pas bien du tout. (« Mao »)
Ils l’ont encore chopé aujourd’hui le connard et il a pris la branlée du siècle. Des flics en civils sans doute, catogan et anneau dans l’oreille—deux le tenaient quatre cognaient. A Pèrama aux chantiers navals. Les ouvriers manifestaient après la mort de deux types sur un pétrolier et il y est allé aussi crier des slogans et bomber les murs. Crier bomber quelle idée. Comme si c’était son truc les marteaux burineurs et les sableuses. Connard. Si seulement il était encarté—ceux-là ils volent en escadrille et font gaffe, ils connaissent la musique. Mais notre jobard, lui, se pointe en solitaire aux rassemblements aux manifs et après qui c’est qui court à l’hosto et chez les bourres pour le tirer de là ? Il s’est fait virer de son boulot en plus et n’a pas mis les pieds à la maison depuis un mois. Qu’est-ce qu’il mange où il dort ? Avec quel argent ? Connard. Il nous rend cardiaques. Voyou. Connard.
Ensuite en 42 il y a eu la soupe populaire ici et un jour une petite fille est venue habillée en garçon avec une moustache sur la figure et les gens l'ont vu ça les a surpris. Quand ils l'ont questionnée elle a dit que sa mère était morte de faim sa grand-mère aussi que toutes les filles dans la famille étaient mortes de faim et c'est pour ça qu'elle était mise en garçon tu comprends pour tromper la mort - elle me prendra pour un garçon qu'elle leur a dit, et me laissera vivre. Sur la tête du Christ, c'est qu'elle a dit. Une petite fille je te dis, toute petite, sept-huit ans. Tu comprends. Elle s'était fait une toute petite moustache au charbon. Habillée en garçon. Pour tromper la mort.
Christos Ikonomou - Le salut viendra de la mer