J'ai beaucoup aimé ce roman. L'histoire est belle, les personnages sont bien décrits, on se les imagine aisément tant la narration est soignée.
Thomas Hardy nous décrit l'histoire d'une jolie femme et de trois hommes qui l'aiment chacun d'une façon différente. Il dissèque avec beaucoup d'acuité les personnalités de chaque protagoniste, leurs qualités et leurs défauts, leur conception de la vie et de la société.
En plus de sa beauté, Batsheba a un caractère bien trempé; bien-sûr, elle doit faire ses preuves en prenant les rênes de la ferme mais elle sait ce qu'elle veut et sait s'entourer, apprend à négocier les prix pour vendre ses récoltes, demande de l'aide quand elle hésite.
Elle ne se contente pas d'être jolie, ce n'est pas une écervelée, donc pas de cliché, elle doit faire ses preuves comme un homme pour se faire respecter, n'hésitant pas à mettre la main à la pâte et c'est sur son action que son entourage la juge. « Sa voix était singulièrement harmonieuse et attachante : c'était un son léger et tendre, fait pour inspirer le roman, une de ces voix fréquemment décrites, rarement entendues. »
L'auteur nous décrit bien cette femme, un peu en avance par rapport à la société de son époque, qui parfois fait des actes inconsidérés
lorsqu'elle s'ennuie (comme envoyer pour la Saint-Valentin une carte à William Boldwood un fermier voisin où elle écrit « épouse-moi ». alors qu'il ne l'avait jamais vraiment remarquée auparavant, le fermier va tomber amoureux d'elle…« L'action avait été commise étourdiment, sans aucune réflexion. Bathsheba considérait l'amour comme un jeu ; mais elle ne se faisait aucune idée de l'amour vrai, de celui qui subjugue ». Parfois, elle nous fait penser à Scarlett O'Hara dans « Autant en emporte le vent ».
Trois hommes, donc trois version de l'amour : l'amour désintéressé, la passion et l'amourette…Tout d'abord, le berger Oak, un homme solide, travailleur, ayant la connaissance de la terre, et des animaux, sur lequel on peut s'appuyer, qui apprend de ses erreurs.
Il est touchant avec son amour inconditionnel pour Batsheba qu'il va servir avec zèle, loyauté, mettant de côté ses sentiments. Touchant certes, mais crédible, nous sommes au XIXe siècle, les déclarations d'amour, les sentiments, les valeurs se sont pas les mêmes que de nos jours. La parole donnée a un sens, de même que la loyauté, le respect de l'autre.
William Boldwood est un personnage intéressant également : fermier célibataire taciturne, préoccupé de ses terres mais qui veille aussi sur les autres (Fanny par exemple), il ne prête pas vraiment attention à la jeune fermière avant de recevoir la carte et qu'on voit se métamorphoser par amour.
Parmi les hommes qui gravitent autour d'elle, on trouve aussi le sergent Troy, le "bel homme", sanglé dans son bel uniforme, profiteur qui aime séduire et abuse de son charme, superficiel. On a certes ces quatre personnages principaux, mais les rôles secondaires sont très intéressants, bien décrits par l'auteur : Fanny, une jeune femme qui suit un régiment par amour pour un beau sergent, ou certains des ouvriers agricoles.
Thomas Hardy nous offre, dans ce roman, une belle réflexion sur la société en général, sur le destin, la loi de causalité (ou l'effet papillon), sur l'être et le paraître, sur le statut de la femme au XIXe siècle, (cf. une phrase terrible sur la maltraitance P 348), sur le rôle de l'Eglise, sur l'amour et ce qu'il peut faire faire aux gens lorsqu'il est excessif ou non partagé ; il rend hommage au monde agricole qui vit au rythme des saisons, des intempéries, respectant la nature. S'inspirant de son Dorset natal, il a inventé un lieu, le Wessex, pour situer son histoire et il le décrit tellement bien, qu'on a l'impression de faire partie du décor et de l'histoire.
Dans un style narratif magnifique, l'auteur nous fait partager son amour de la terre, avec des belles descriptions de cette campagne verdoyante, dans laquelle galopent les chevaux, paissent les brebis ; comment les gens travaillent dans les champs, dans des conditions bien différentes de nos paysans actuels, la moindre erreur pouvant avoir des conséquences terribles sur les récoltes. Une sagesse innée de la Terre qui semble tellement loin de nos jours.
J'aime beaucoup cet auteur que j'ai découvert, avec énormément de plaisir autrefois, avec «
Tess d'Urberville ». L'écriture est belle, mélodieuse ; les descriptions sont à couper le souffle, il n'y a pas de longueurs, les phrases roulent, s'enchaînent comme le galop des chevaux ou le rythme des saisons. Je rends hommage, au passage, au cinéaste danois
Thomas Vinterberg qui est resté très proche du roman, ne l'a pas dénaturé.
Donc un nouveau coup de coeur, et l'envie de lire ses autres romans, notamment «
Jude l'Obscur », le titre à lui-seul est une invitation au voyage. Un seul regret : l'avoir laissé attendre trop longtemps dans la bibliothèque…
Note : 9,4/10 challenge XIXe siècle
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