Pérou, Lima été 94,
"....tout allait changer à partir du soir où l'oncle Emilio, en rentrant de la pizzeria, nous avait annoncé qu'il avait demandé à Francisco de Rivera s'il n'y aurait pas une petite place pour moi à Proceso", le journal d'opposition.
Les années sombres du Pérou, alors que la dictature, le Sentier Lumineux et les conflits frontaliers avec l'Equateur font fureur, mais curieusement,uniquement au début comme bruits de fond dans ce livre, Gabriel Lisboa entame ce job d'été de stagiaire non rémunéré, aux maigres prospectives. Et pourtant, ce sera, le tournant décisif de sa Vie. Pour ce jeune homme de dix-neuf ans, étudiant en sciences de communication à l'Université de Lima, issu d'un milieu très pauvre, débute l'apprentissage de l'Écriture. Il ne vivra désormais que pour essayer de devenir écrivain, et dix ans plus tard il nous écrira "Tout dire", où il nous raconte tout de ces dix années.
Non, ce n'est pas à proprement parler une autobiographie, bien que l'auteur se soit librement inspiré de sa propre vie. Une histoire éblouissante sur la jeunesse, la difficulté de trouver sa place dans ce monde et surtout une ode à l'Écriture, où l'on suit toutes les étapes de cet apprentissage, les doutes, le manque d'inspiration, les pulsions pour écrire et l'angoisse de ne pas y arriver, les questions et ses constats ..."Comment peut-on évaluer le talent?", "La création est une expérience qui va au-delà de l'effort et de l'intelligence, mais je l'ignorais encore", "Je me rendais maintenant compte que savoir se servir de la langue, ponctuer correctement et éviter les erreurs syntaxiques ne me servait à rien parce que j'ignorais encore comment ma voix pourrait devenir singulière et reconnaissable"......
Le journalisme et des patrons talentueux et travailleurs lui feront la courte échelle , lui donnant toutes les chances et l'aide nécessaire, mais il peinera à acquérir conviction, assurance et estime de soi pour se concentrer et écrire. Comment arrivera-t-il à jamais à dépasser la peur qui le bloque?
Ce livre foisonnant parle aussi, intensément d'Amitié ( un magnifique quatuor d' "énergumènes"), d'Amour et de la ville de Lima.
Les nombreux personnages, vrais ou fictifs, atypiques,haut en couleurs, pêle-mêle , journalistes, éditeurs, poètes, écrivains qu'on croise et les coulisses du journalisme qu'il nous décrit dans ses moindres détails, sont un régal !
Un texte puissant, analytique, fluide, à l'humour décapant, où les jeux du destin font constamment rebondir l'action. Difficile de lâcher se livre avant la fin, pourtant 500 pages.
De la rentrée littéraire automne 2016, un premier roman encensé par Maria Vargas Llosa . Aprés Diego Zuniga et Martin Mucha, un nouveau jeune écrivain péruvien très talentueux que je vous conseille vivement de découvrir. Un livre passionnant !
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Ce premier roman touche avant tout par sa sincérité.
Au fil des rues péruviennes, ce bel auteur nous emmène vers ses espoirs, ses rêves, ses égarements et ses tristesses...
Gabriel est un jeune étudiant qui se cherche. Sans argent mais passionné par l'écriture, il pense tout d'abord assouvir son désir d'écrire en devenant journaliste. Ses nombreux stages au sein des rédactions vont lui apprendre le choix du mot juste, l'expérience du secteur éditorial, l'amener vers des rencontres de tout genre pour le guider finalement vers le métier d'écrivain. Mais un écrivain ne se réalise que par les expériences qu'il subit.
Et malgré son histoire, Gabriel ne parvient pas à raconter.
La vie mettra sur son chemin des rencontres fortes pour mieux le guider vers l'aboutissement de sa passion. Gabriel deviendra ainsi le personnage principal de sa vie, témoin des réussites et des déboires que subiront ses amis, et subissant à son tour les doutes et les périples du coeur.
Tout dire, c'est le récit des souffrances psychologiques d'un enfant qui ne demande qu'à prendre confiance en lui, obligé de vivre avec un passé chargé mais nécessaire puisque c'est lui qui permettra à Gabriel d'écrire avec la plus grand sincérité, de brillantes pages sur l'envie, le désespoir, la passion, et la quête de soi.
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Ce fut une des rares occasions où il m'enseigna certains aspects du langage qui, avec le temps, feraient de moi un éditeur : l'inutilité des gérondifs et des adverbes, l'abus des subordonnées, les mots révélateurs de l'insuffisance lexicale et la recherche indispensable du terme le plus juste pour exprimer l'idée que l'on veut communiquer au lecteur. P.189
Comme il ne s'intéressait guère qu'à l'art et à la poésie, mes inquiétudes concernant mon avenir à l'université et le remboursement du prêt universitaire qui m'avait été accordé devenaient en sa présence des vétilles, dont je me gardais bien de parler.Montero vivait dans une autre réalité pour laquelle j'aurais donné n'importe quoi. P.139
Dès le commencement des cours, j'ai pris l'habitude d'enregistrer tout ce que j'écrivais sur une disquette. J'attendais mon tour dans les salles d'ordinateurs de l'université, et patiemment, les feuilles volantes posées à côté du clavier, je saisissais et corrigeais mon texte. Au lieu de me prendre quelques heures comme je l'avais cru, ce travail a occupé tous mes moments libres. Je sortais d'un cours et courais chercher un ordinateur disponible pour réécrire ma nouvelle, en préciser soigneusement les moindres termes, ajouter une épigraphe, une subordonné, en retirer une autre. Constater que rien n'était définitivement arrêté était désespérant, mais je prenais peu à peu plaisir aux facilités qu'offrait le traitement de texte : copier, coller, déplacer les lignes, effacer et rétablir des phrases écrites quelques minutes plus tôt. J'en suis bientôt venu à espérer par dessus tout gagner ce concours à seule fin de disposer d'une machine avec laquelle je pourrais passer des heures et des heures à créer des histoires.
Francisco m'avait offert une place de stagiaire à la revue de mode "Bazar" et la revue féminine "Bella".....c'est ainsi...en adoptant un point de vue féminine, que j'ai écrit mes premiers articles pour "Bella": " Ne plus avoir peur d'eux au lit", "L'obsession de l'orgasme","Secrets pour les satisfaire" qui ont paru sans signature ou signés d'un nom de femme.L'expérience a été pour moi amusante....p.169
L'image est encore gravée en moi et, alors que je l'évoque, je retrouve en elle l'impression d'authenticité que donnent les petits tableaux flamands où la lumière est d'une telle netteté qu'elle semble éclairer les choses de l'intérieur, où les reflets sont pareil à des émanations. Dans l'éclat de la fenêtre à côté de laquelle elle est assise, éclat chaud d'un après-midi d'avril, une jeune fille svelte, au long cou droit, la tête surmontée d'un chignon, écrit sur son ordinateur avec la plus totale concentration. Son profil se découpe nettement dans le jour, ses doigts se déplacent sur le clavier, ses yeux sont rivés sur l'écran.