Je réalise soudain, lisant ce bon petit roman de Marc Dugain, que l'amour, pour chacun a sans doute toujours un nom : celui d'une femme ou d'un homme. La guerre, elle, n'en porte pas ! Bien sûr elle peut être associée à un nom propre (Troie, Crimée, Péloponnèse, Arauco, Boxers… elles sont si nombreuses). Mais parlez-moi de la guerre, aucun nom ne la représente plus qu'une autre (… elles sont si nombreuses). Parlez-moi d'amour, un nom vient envelopper mon coeur, un visage se dresse devant mon regard, un être l'incarne plus qu'aucun autre.
Ce n'est pas l'amour qui a donné à Pierre envie de s'engager dans la Résistance. Mais l'amour lui a donné TOUT son sens. Car on ne se bat pas pour l'humanité : « tu vois mon vieux, quand on parle d'humanité, on parle de celui-là aussi » dit Antoine à Pierre, son compagnon de détention. On se bat pour un idéal, qui s'incarne dans des figures. Et quel plus bel idéal que l'être aimé, l'être cher, l'être en chair.
A l'inverse, il bien possible que l'on se déclare la guerre au nom de l'humanité, pour la façonner à sa manière, pour en imposer sa définition…
Je ne suis pas (plus en réalité) d'accord avec
Stefan Zweig qui reprenait à son compte, dans
Conscience contre violence, que « tuer un homme ce n'est pas, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme » : il y a bien des circonstances où l'on tue pour une idée, un idéal, la Résistance en est un « bel » exemple (j'ai bien compris que
Stefan Zweig voulait réduire le meurtre a sa plus basse réalité, mais je pense qu'il se trompe, qu'il impose un point de vue qui n'a pas de légitimité ; l'homme-la femme, est un être de sens, y compris dans le mise à mort). L'inverse est peut-être vrai aussi : sauver une vie c'est sauver l'humanité (comme le proclament les textes sacrés des religions du Livre). Mais aimer ? A moins d'être doué d'un amour infini tel le Christ, ou tel
Platon de viser l'agapè, aimer n'est-ce pas toujours aimer celui-ci ou celle-là ?
Ce roman de Dugain, qui aura vingt ans demain, me réconcilie avec son auteur, que j'avais beaucoup apprécié pour
La Chambre des officiers,
Avenue des Géants ou encore
La malédiction d'Edgar, mais qui m'avait déçu avec
Transparence. J'y retrouve une écriture d'autant plus forte qu'elle sait laisser penser le lecteur entre les mots, qu'elle nous invite au travail : d'imagination, de mémoire, d'appropriation. Chez Dugain, le style ne vous ensevelit pas, il laisse respirer. le style n'éblouit pas, et donc permet de bien regarder. le sujet est comme toujours important, il ne parle pas de son auteur : il parle de tous, à tous. Dugain est l'ami du lecteur.