Citations sur La vraie vie (526)
J'aimais m'endormir avec sa petite tête juste sous mon nez pour sentir l'odeur de ses cheveux. Gilles avait six ans, j'en avais dix. D 'habitude, les frères et soeurs, ça se dispute, ça se jalouse, ça crie, ça chouine, ça s'étripe. Nous pas. Gilles, je l'aimais d'une tendresse de mère. Je le guidais, je lui expliquais tout ce que je savais, c'était ma mission de grande soeur. La forme d'amour la plus pure qui puisse exister.
Mon père regardait le journal télévisé, en expliquant chaque sujet à ma mère, partant du principe qu'elle n'était pas capable de comprendre la moindre information sans son éclairage. C'était important le journal télévisé pour mon père. Commenter l'actualité lui donnait l'impression d'avoir un rôle à y jouer. Comme si le monde attendait ses réflexions pour évoluer dans le bon sens.
J'aimais mon corps. Ça n'avait rien de narcissique. Même s'il avait été moche, je l'aurais aimé pareil. J'aimais mon corps comme un compagnon de route qui ne me trahissait jamais. Et que je devais protéger. j'aimais découvrir ses nouvelles sensations. Et les plaisirs possibles. Je faisais en sorte de me rappeler les moments agréables et d'oublier la douleur.
Il riait tout le temps, avec ses petites dents de lait. Et, chaque fois, son rire me réchauffait, comme une minicentrale électrique. Alors, je lui fabriquais des marionnettes avec de vieilles chaussettes, j’inventais des histoires drôles, je créais des spectacles juste pour lui. Je le chatouillais aussi. Pour l’entendre rire. Le rire de Gilles pouvait guérir toutes les blessures.
Elle parlait beaucoup et j'aimais bien sa voix. Elle avait un drôle de petit accent que j'associais à la ratatouille.
Cette bête-là voulait manger mon père. Et tous ceux qui me voulaient du mal. Cette bête m'interdisait de pleurer. Elle a poussé un long rugissement qui a dépecé les ténèbres. C'était fini. Je n'étais pas une proie. Ni un prédateur. J'étais moi et j'étais indestructible. (p198)
Le voyage dans le temps, c'est comme l'immortalité, c'est un fantasme compréhensible, mais il faut apprendre à accepter l'inacceptable. L'homme veut comprendre, c'est sa bonne nature; sa nature d'enfant.
L'été s'est achevé sur cette sensation confuse, entre l'émerveillement devant le lien qui se tissait avec celle que j'appelais « maman » et la terreur exponentielle que m'inspirait celui que j'appelais « papa ».
Ma mère, elle avait peur de mon père.
Et je crois que, si on exclut son obsession pour le jardinage et pour les chèvres miniatures, c’est à peu près tout ce que je peux dire à son sujet. C’était une femme maigre, avec de longs cheveux mous. Je ne sais pas si elle existait avant de le rencontrer. J’imagine que oui. Elle devait ressembler à une forme de vie primitive, unicellulaire, vaguement translucide. Une amibe. Un ectoplasme, un endoplasme, un noyau et une vacuole digestive. Et avec les années au contact de mon père, ce pas-grand-chose s’était peu à peu rempli de crainte.
"Il n'y avait aucune malice dans cette question. C'était une vraie question. La vie de ma mère était ratée. Je ne savais pas s'il existait des vies réussies, ni ce que ça pouvait signifier. Mais je savais qu'une vie sans rire, sans choix, et sans amour était une vie gâchée."