Cette bête m'interdisait de pleurer. Elle a poussé un long rugissement qui a dépecé les ténèbres. C'était fini. Je n'étais pas une proie. Ni un prédateur. J'étais moi et j'étais indestructible.
Chez nous, les repas familiaux ressemblaient à une punition, un grand verre de pisse qu'on devait boire quotidiennement.
Je me suis assise près de Takeshi et j’ai regardé Simba parler au fantôme de son père dans les nuages. C’est là que j’ai réalisé que les studios Disney s’étaient largement inspirés d’Hamlet pour écrire le scénario. Le spectre du père qui parle à son fils : « N’oublie pas qui tu es », le frère du roi qui l’assassine pour monter sur le trône, le héros exilé, l’image du crâne omniprésente dans le dessin animé, la référence à la folie, incarnée par le singe. C’est juste que Horatio était devenu un phacochère flatulent.
Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n’arrive pas dans la vraie vie.
Mon école était un immense bloc de béton noir bordé de quelques arbres. [...] Le charme d'un bunker, entouré d'une végétation domestiquée. Une nature qu'on tolérait encore mais qui avait perdu la bataille depuis longtemps.
Gilles avait six ans, j'en avais dix.
D'habitude, les frères et sœurs,
ça se dispute, ça se jalouse, ça crie, ça chouine, ça s'étripe.
Nous pas.
Gilles, je l'aimais d'une tendresse de mère,
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Ça maîtrise des notions de physique quantique et ça n'est même pas foutu de ruser un peu face une bande de chasseurs prépubères !
« J’aimais la nature et sa parfaite indifférence. Sa façon d’appliquer son plan précis de survie et de reproduction, quoi qu’il puisse se passer chez moi. Mon père démolissait ma mère et les oiseaux s’en foutaient. Je trouvais ça réconfortant. Ils continuaient de gazouiller. » (p. 60 & 61)
Il n'a pas arrêté de pleuvoir cet été-là. On aurait dit que le ciel était en deuil. De longues journées et de longues nuits mouillées, avec ce bruit de fond incessant, ce crépitement si triste qu'on aurait pu croire que la nature elle-même commençait à envisager le suicide.
Un soir, nous étions à table et je savais qu'il allait y avoir une colère. .../...
Ce soir là, donc, nous étions à table. Chacun mangeait en silence. Nos gestes étaient précis, mesurés. Personne ne voulait être responsable de l'étincelle qui provoquerait l'explosion. .../... Je me forçais à manger pour me fondre dans le décor, mais j'avais les tripes nouées. Je l'observais du coin de l'oeil, je guettais l'arrivée du cataclysme.