Chacune, chacun a sa façon d'interpréter une lecture. Et c'est vrai, le livre, une fois écrit, n'appartient plus à son auteur. Il prend la vie que lui suggère le lecteur. Mille démultipliée... Ce n'est donc qu'une facette de ce roman au travers de mon ressenti que je vous propose.
Marie Didier, devenue au fil des rencontres et des lectures, une amie.
En 4e de couverture, on lit :
« Elle avait du mal à définir le veilleur. Ce n'était ni un censeur, ni une divinité imaginaire, ni un moraliste vertueux, encore moins un flic. C'était plutôt un éveilleur car, lorsqu'il se mettait en alerte au fond d'elle-même, tout ce qu'elle percevait s'en trouvait bouleversé de façon radicale.
Dans la masse des souvenirs, elle veut plus que tout traquer les quelques instants où le veilleur a pu lui apparaître, instants fulgurants et paisibles, trop vite engloutis par l'action, l'agitation, bref par la vie qui sait si bien étouffer la vraie vie.
Ces instants ont surgi n'importe quand, n'importe où, avec n'importe qui, et il lui faut, maintenant que le temps est compté, les retrouver, les piquer en plein vol puis les laisser partir comme ils sont venus, pour le bonheur de savoir qu'ils ont existé et ne plus voir en eux que des éveilleurs pour aujourd'hui. »
Ce Veilleur infidèle, ô chère Marie, a « fidèlement, semé ses petits cailloux »... et avec lui, en quelles profondeurs il emporte ta lectrice ! Ses petits cailloux sont semences de mots germés, échappés mais pas n'importe comment : ils ont une épine dorsale, la souffrance. Chaplet de souffrance – « cette épaisseur de chagrins fracassants » - livré avec une austérité luxuriante.
Elle.
La Sans-Nom pour mieux nous identifier à Elle qui devient Je – terriblement humaine – dans ce chant d'apothéose final à l'amour. Amour. Je et Tu, les insécables. Je sans Tu, l'inadmissible.
Et la souffrance marche avec sa doublure, l'endurance ici nommée « poignard du courage »... L'endurance va plus loin que le courage qui est son fer de lance. « Elle troque son rôle de victime pour celui de guerrier » - tu n'as pas écrit « guerrière ». L'emploi du masculin renforce la détermination. Oh nous les vivons tes mots, Marie !
Quel pur régal que ces séquences croquées à main levée, main sûre de l'artiste qui sait, toute pénétrée de la mystérieuse alchimie, celle qui capte le réel dans l'imaginaire ou vice versa (dirait
Gil Jouanard) – « l'inconvenante force du réel » - Tout est à souligner dans ce livre dévoré à la hâte et puis à rebrousse page pour retrouver un instant encore là où ça transperce d'indicible – ces émois ténus qui sortent du sommeil de l'oubli « la tiédeur de la hanche »... ou « le silence des flammes » qui nous fait assister souffle suspendu au crépitement du flambeau... Et puis ces délicates aquarelles comme la plage qu'elle n'aime pas, la scène émerveillante de l'attaque des chevaux sauvages... Les eaux fortes pour dire les séjours au Yémen, en Roumanie...
Cet art de ne pas raconter l'histoire d'Elle en multipliant les éclairages par des anecdotes... Profusion du « à dire » non dit qui nous aspire vers les profondeurs du soi, le non territoire du Veilleur... Veilleur qu'en est-il de la nuit ?
Et ce chant de grâce comme un rescapé dans un champ de bataille jonché de cadavres, qui fera si pathétiquement écho à certains d'entre nous : « Ses amours étaient morts, personne ne l'aimait, elle n'avait plus de désir, même plus celui de lire les livres qui la nourrissaient jadis, mais elle sentit monter en elle comme une vague reconnaissance pour la vie qui avait fait le vide autour d'elle, pour cette vie qui lui avait repris routes ses habitudes, toutes ses joies, oui une reconnaissance pour cette vie qui la situait une nouvelle fois face à des commencements. »
Une dernière citation tellement JUSTE ! : « La réalité n'a pas de pourquoi. C'est parfois une imbécile. Elle ne connaît ni justice ni morale. C'est ainsi. »
Si je devais donner un autre titre à son livre (quoique celui-ci soit parfait) ce serait : « les silences de la beauté absolue »...
Les phrases entre guillemets en italiques sont extraites du roman de
Marie Didier.
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